En cette première journée de la COP consacrée aux chefs d’État et de gouvernement, le coup est bien réussi. Gérard Mestrallet, PDG d’Engie (ex-GDF Suez) était hier à la tribune du Bourget, aux côtés de François Hollande, du secrétaire général de l’ONU Ban Ki-Moon et de Narendra Modi, le Premier ministre indien. Seul patron à apparaître sur la photo de lancement de l’Alliance solaire internationale, une initiative de l’Inde destinée à favoriser les investissements de cette énergie renouvelable dans les pays à fort ensoleillement. C’est un grand honneur pour moi d’être invité à prendre part à cette cérémonie exceptionnelle
, a déclaré Mestrallet, le ton humble, mais en réussissant à caser qu’Engie, troisième producteur mondial d’électricité, numéro un du solaire en France et leader en Inde, est prêt à apporter au monde des solutions solaires adaptées
. Une présence symbolique de la manière dont les entreprises cherchent aujourd’hui à truster le débat sur le climat, pour ne plus le laisser aux seules ONG.
Pour quiconque a de la mémoire dans le monde de l’énergie, écouter Mestrallet, 66 ans et vingt ans de carrière dans le secteur de l’énergie, se faire le chantre des énergies renouvelables est comique. En 2011, le même alertait les consommateurs du prix élevé de l’éolien et du solaire, expliquant qu’il faudrait payer trois fois
la construction de centrales à énergie renouvelable (lors d’une conférence à Montréal). Mestrallet mettait alors en avant le coût des subventions, la nécessité de construire parallèlement une centrale à gaz d’une puissance équivalente pour faire face à un arrêt de vent ou à du mauvais temps, et enfin le coût d’entretien de cette dernière. En 2013 encore, le PDG d’Engie faisait un lobbying d’enfer auprès de la Commission européenne pour qu’elle cesse de soutenir la construction de centrales vertes. Cette fois-ci, le motif allégué (exposé au Monde) était qu’on subventionnait massivement l’installation de capacités éoliennes et solaires dont on n’a pas besoin pour l’équilibre des marchés électriques
. La crainte étant que ces surcapacités
générés par l’apparition de nouvelles centrales entraînent une baisse des prix, et affectent le bénéfice du groupe.
Patron d’un groupe énergétique protéiforme, gazier et électricien, possédant des centrales électriques fonctionnant au gaz, à l’éolien, au solaire, au charbon, à l’atome et à l’eau (les barrages hydroélectriques), tout en proposant aux collectivités des services d’efficacité énergétique, Mestrallet a pendant des années ressemblé à la chauve-souris de la fable. Se présentant alternativement comme patron écolo ou lobbyiste en chef des pollueurs, suivant ses interlocuteurs. Sauf que depuis quelques mois, une mue s’est opérée. En mars 2015, GDF Suez s’est rebaptisé Engie, et a choisi un nouveau slogan : être le leader de la transition énergétique
. Plus question d’apparaître comme le mauvais élève du réchauffement climatique. Cela s’est traduit par une inflexion stratégique : le groupe a annoncé qu’il renonçait à construire de nouvelles centrales à charbon et a racheté Solaire direct, le leader français du solaire, pour pouvoir prétendre à ce titre. Et Mestrallet lui-même s’est investi personnellement afin d’apparaître uniquement comme « PDG ami du climat ».
Un chef d’entreprise peut avoir des enfants et se soucier de leur avenir.
En tant que président d’Europlace, le lobby de la place financière de Paris, il a organisé le 22 mai dernier le « climate finance day », pour appeler « les financements privés » à « s’orienter vers des actifs bas carbone ». Dans le même temps, la présidence française l’a nommé modérateur du « business dialogue », un groupe informel chargé de faire discuter PDG et représentants des États, en vue de la COP21. Mestrallet s’est ainsi rendu en septembre à New York, en marge de l’assemblée générale des Nations unies, afin de participer à la « climate week », un forum de discussion sur le climat pour les grandes entreprises. L’occasion pour lui de personnaliser à outrance sa com, en assurant à un journaliste de l’AFP qu’un chef d’entreprise peut avoir des enfants et se soucier de leur avenir
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Un argument que l’intéressé aime à ressortir. Le 14 octobre dernier, lors d’une conférence sur le climat à Paris-Dauphine, celui qui se présente comme un « ancien combattant des questions climatiques » car « présent à Rio il y a vingt ans » complétait ainsi cette profession de foi : L’évolution des mentalités du côté du business a été extraordinaire ces cinq dernières années. À Copenhague, les entreprises traînaient les pieds. Aujourd’hui, nous travaillons activement pour Paris. Les chefs d’entreprise ont des convictions personnelles et ces convictions ont rejoint l’intérêt bien compris de leur entreprise.
Faire le bien de la planète tout en faisant du business s’incarne parfaitement dans l’Alliance solaire internationale. « Le secteur solaire aura besoin de 1 200 milliards d’euros d’investissement à échelle internationale d’ici à 2030, a déclaré hier Mestrallet. Le secteur privé est prêt à faire la part de cet effort qui représentera environ 70 % et à participer à son développement. Le solaire limite les émissions de CO2 et le monde de la finance a compris cette année qu’une catastrophe écologique liée au climat était également une catastrophe économique. » Plus prosaïquement, Engie, via sa filiale Solaire direct, ambitionne de construire 2 GW de projets photovoltaïques en Inde. Et s’afficher à la tribune aux côtés de Narendra Modi ne va pas desservir le groupe français.
Mais cela ne veut pas pour autant dire abandonner les vieilles activités d’Engie moins écolos. Ce matin, Mestrallet était à Bruxelles pour présenter l’accord signé hier soir avec le gouvernement belge prévoyant de prolonger de dix ans la durée d’exploitation de la centrale nucléaire de Doel. Une décision controversée : mise en service en 1975, cette centrale située à la frontière avec les Pays-Bas pose des questions de sécurité. Il y a trois ans, des milliers de microfissures ont été découvertes sur la cuve d’un des réacteurs, obligeant à le mettre temporairement à l’arrêt. Quant à la prolongation, elle fait l’objet d’un accord financièrement très favorable à Electrabel, la filiale belge d’Engie : à l’occasion, le groupe a négocié avec l’État belge son niveau d’imposition pendant dix ans. « Nous avons la volonté d’écrire une page nouvelle, a alors assuré Mestrallet. La fiscalité en Belgique était très fluctuante ces dernières années et avait atteint un niveau supérieur aux marges dégagées par l’activité. Le nouveau calcul tient compte de la réalité dans laquelle nous opérons, avec des prix de l’électricité divisés par deux en six ans. » Mais qu’on se rassure, la planète n’est pas oubliée. Selon Mestrallet, l’accord va enclencher une dynamique pour faire de la Belgique une vitrine de la transition énergétique
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