Fin janvier, Elhia a fait une crise d’angoisse en voyant les unes des journaux sur un probable nouveau confinement. « C’est l’incertitude permanente. Je déteste l’incertitude », assène l’étudiante d’habitude calme derrière ses cheveux courts et ses fossettes. « Je déteste ne pas avoir les cartes en main. Je préfèrerais avoir un calendrier Covid jusqu’à 2023. Au moins, je ne me ferais pas d’idées. Je n’aurais pas de déception. Je saurais qu’il y a une raison pour laquelle je ne peux pas voir mes amis. »
La jeune Marseillaise est « très stressée de base » mais n’a jamais été angoissée à ce niveau-là, permanent. Samuel non plus n’a jamais « connu de passages comme celui-là ». Il n’« ose pas se projeter ». « Se projeter à quand ? », demande le naturaliste lyonnais, un peu énervé par la question sous ses longs cheveux frisés. Une définition ancienne de la dépression parlait d’« incapacité à anticiper », rappelle le psychiatre Patrick Lemoine : « On est déprimé parce qu’on ne voit pas d’avenir, donc on reste au lit, on procrastine. » Pour s’en sortir, le médecin conseille d’« avoir des projets, d’éprouver du plaisir, des sensations vivantes, qui disent que la vie est encore possible devant soi, même quand on a 90 ans ». Pas évident en ce moment justement de prévoir des sorties plaisantes ni des vacances, tellement les règles changent souvent. Et si ce manque de mouvement entre un présent qui peut sembler patiner et un futur proche qui a l’air difficile à appréhender participait à la baisse de moral des Covid-déprimés ?
Je suis très anxieuse habituellement sur tout ce qui est noté, évalué, soumis à un résultat, mais pas dans mon quotidien. Maintenant, c’est la vie qui m’angoisse.
« Avant, j’arrivais à me contrôler, raconte Elhia à propos de son anxiété. Si je passais une semaine relou, je pouvais penser au chouette week-end que j’avais en perspective. Mais aujourd’hui, même le chouette week-end peut être annulé ! » Avant, son entourage pouvait lui dire aussi : « Arrête de t’angoisser. Tu fais de bonnes études, tes parents vont bien, tu as un appartement… » Mais « ça n’est plus valable », soupire l’étudiante marseillaise, actuellement en stage à Paris. Désormais, plus rien n’est sûr. Faire de bonnes études et trouver un bon stage ne garantissent plus de trouver un travail, se dit-elle dans les mauvais moments. Elhia croit parfois être seule à éprouver ce sentiment. « Mais quand j’en parle, je découvre que la plupart de mes copines sont en grosse angoisse par rapport au futur. C’est difficile de s’en remettre aux diplômes maintenant. » Difficile de trouver « du stable », du sûr, du rassurant.

Même la santé n’est plus garantie, déplore la jeune femme.