Elhia est une bonne élève. Elle a toujours été concentrée à l’école, curieuse, à poser des questions, à participer aux projets. Jamais elle ne se serait imaginée « apathique » devant un cours, à moitié allongée, à regarder les réseaux sociaux sur son smartphone tout en lisant sans les lire trois articles sur son ordinateur. C’est pourtant ce que Zoom a fait de l’étudiante aux cheveux courts dont les fossettes se creusent de plus en plus rarement. « En novembre-décembre, je n’arrivais plus à me concentrer, date la jeune femme de 22 ans. Même en m’accrochant. Ma concentration s’était envolée. Je n’arrivais pas à faire autrement. J’étais dans un super environnement pourtant, dans la maison de mes parents à Marseille. Mais voir les gens en visio est hyper déprimant. Huit heures de Zoom par jour, qui peut tenir ? » Pas grand monde, visiblement. Toutes les personnes interrogées pour cette obsession sur la déprime au temps du Covid (lire l’épisode 1, « Épidémie de cafard ») ont cité la disparition des échanges physiques et leur médiation par les écrans parmi les causes de leur baisse de moral. Pour des raisons variées : du « à quoi bon continuer ? » à une plus grande dureté dans ces interactions par caméras interposées, en passant par le ras-le-bol des débats sur messagerie qui ont remplacé les relations légères entre amis. Au point, parfois, d’avoir du mal à retrouver les sensations propres aux contacts physiques de la vraie vie.
En stage à Paris, Elhia n’a d’échanges qu’avec sa colocataire. Elle se rend deux jours par semaine dans l’entreprise qui la fait travailler. Le reste du temps, elle découvre le (télé)travail dans un studio dont les fenêtres donnent sur une cage d’escalier. « Je me lève, je m’installe face à mon ordinateur sur ma table de travail, mais rapidement, après la première réunion en visio, je migre vers le lit. Je me dis : “À quoi bon ?” À quoi ça sert, tout ça ? » Elhia a fait de bonnes études, elle a trouvé un « super stage », et pourtant, l’entrée sur le marché du travail en septembre prochain lui paraît « impossible ». Elle oscille entre la conscience de l’importance de faire ses preuves durant ce passage en entreprise et la déception de vivre une expérience « au rabais ».
Samuel ressent aussi cette tension, source de frustration, entre ce qu’il aimerait pouvoir faire dans un métier qu’il a choisi par passion et la réalité actuelle de son activité.