Marie-Antoinette, la retraitée épuisée, a répondu très vite quand j’ai envoyé un email d’appel à témoins qui lui a été transmis par des collègues de cousins. Nous ne nous connaissions pas mais elle a débuté sa réponse écrite, une fois les présentations faites, d’une façon directe et précise : « Je souffre depuis trente ans d’insomnies sévères de la seconde partie de la nuit. » Dans son deuxième mail, elle disait : « Je me dis souvent qu’il vaut mieux affronter ses angoisses réveillée la nuit que de faire un cancer en les refoulant. Ce qui ne me met bien sûr pas à l’abri. »
Puisqu’elle y allait franco, je lui ai demandé : « Et savez-vous ce que dit cette fatigue ? Je veux dire : ce qu’elle empêche de faire, ou permet de ne pas faire, ou autorise ? » Trente minutes après, l’ancienne ingénieure me répondait : « Ma mère avait une activité physique très dure, elle se levait à 4 h 30 et travaillait sans relâche jusqu’après le dîner, en éduquant quatre enfants. Mes parents avaient une ferme avec beaucoup de vaches laitières. Je me dis parfois que je culpabiliserais si je n’étais pas fatiguée, ou du moins que je n’aurais pas l’air sérieux. Cette fatigue me permet de faire tout ce qui est de mon devoir sans me laisser d’énergie pour me faire plaisir. On n’est pas sur terre pour ça ! Être fatiguée, c’est la moindre des choses pour moi. »
Adolescente, Marie-Antoinette adorait bouquiner tard et se réveiller tôt. En classe préparatoire scientifique, comme par la suite à l’École des ponts et chaussées, elle se couchait à 2 heures du matin pour se lever à 6 heures. Quand elle rejoignait le septième étage sans ascenseur de son tout premier appartement à Paris – « la vue était magnifique », précise-t-elle avec une certaine gourmandise, pour ne pas dire volupté –, elle courait si légèrement dans les escaliers que son voisin du troisième l’avait surnommée « la gazelle ». Il y a trente ans, alors ingénieure, Marie-Antoinette a vécu deux drames à la suite. « J’ai une sœur qui s’est défenestrée. Elle a survécu, elle est devenue paraplégique dans des souffrances affreuses et elle est morte dix ans après. Sa fille s’est défenestrée, elle a survécu, elle a fini par se pendre. Avant, je dormais normalement. Depuis, une anxiété s’est développée. »
Ces drames pourraient suffire à expliquer qu’elle n’ait pas « digéré cette violence physique » que s’est infligée sa sœur et qui l’a beaucoup choquée.