Grosse fatigue

Nicolas a 38 ans et trois enfants. Il élève 200 brebis dans les Pyrénées, dans le Béarn. Il préfère rester anonyme et utiliser un prénom d’emprunt, n’ayant pas envie que les clients qu’il croise au marché quand il va vendre ses fromages connaissent sa vie. Mais il a beaucoup réfléchi à la fatigue. Une de ses spécialités : savoir résister, « faire le gaillard ». Il est même connu pour ça dans sa bande de copains. « Ça fait des générations qu’on y travaille », dit-il, mi-amusé mi-amer. Il en a marre, il a décidé de moins travailler, et d’être moins fatigué d’ici à ses 40 ans.

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Marie-Antoinette a 68 ans. Diplômée de l’école des Ponts et Chaussées – elles étaient six femmes à l’époque –, elle a été ingénieure dans un institut de recherche. « Ce n’était pas l’exploitation », se souvient-elle. Pourtant, le travail a toujours été très valorisé dans sa famille. Être fatigué signifiait qu’on avait travaillé, et qu’on ne dépareillait pas. Quand un drame est survenu dans sa vie, elle a commencé les insomnies, qui ne l’ont plus quittée. La fatigue est aujourd’hui quasi permanente, alors que Marie-Antoinette est à la retraite. Mais la Parisienne a repris le yoga.

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Gaït, ou Agathe, a 66 ans et trois enfants. Ingénieure informatique de formation, elle a changé de travail tous les deux ans, « en privilégiant le contenu à la rémunération et à la réussite sociale ». Elle a créé une entreprise qui a coulé, elle a été au RSA. Gaït a passé quinze ans à faire de la recherche en Afghanistan, après être devenue, à 50 ans, chercheuse en sciences politiques. Aujourd’hui, elle part en voilier, seule, de Noirmoutier, pour plusieurs mois. « La gestion du temps est devenue secondaire pour moi : il y a des moments où je suis très disponible et d’autres pas. »

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Maryline est traductrice indépendante. Anglais, allemand, italien. Elle s’est installée à Marseille voilà dix ans. Elle venait de se séparer et « risquait de retrouver un amoureux », alors autant réaliser son rêve avant, elle en trouverait un sur place. À 45 ans, elle songe à changer de ville à nouveau. Pas loin de la mer quand même. En espérant que la fatigue ne s’invite pas dans le déménagement, elle qui dort neuf heures par nuit sans étancher son envie de se reposer. Elle a fait une dépression à 20 ans, se demande si c’est lié et ce que cette fatigue lui permet, ou l’empêche de faire, comme « une hypothèque » sur sa vie.

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Quentin a 41 ans et deux enfants. Il vit à Dijon, où il enseigne à la fac. Il rêve régulièrement d’exercer d’autres métiers, plus manuels, même si, en fait, l’enseignement lui plaît. Mais il cogite. Il dort très mal la nuit. Et considère sa fatigue comme un handicap. Pourtant, quand il fait du sport, il n’est plus fatigué. C’est encore plus flagrant quand il va méditer au dojo zen. Il ne comprend pas très bien comment sa fatigue fonctionne. Elle le surprend. Participer à cette obsession des Jours lui permet de poursuivre son enquête. Mais il ne souhaite pas donner son vrai prénom. Le sujet est intime.

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Elisa Frisaldi est généticienne et chercheuse en neurosciences au sein de l’équipe du professeur Fabrizio Benedetti, à la faculté de médecine de l’université de Turin, en Italie. Elle travaille, entre autres, sur les effets placebo et nocebo : elle a mené des études sur leur importance dans l’efficacité des traitements mais également sur la performance physique. Elle mène actuellement une étude sur les patients souffrant de myasthénie grave, dont le principal symptôme est la fatigue.

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Patrice est ouvrier, contrôleur qualité plus précisément, chez PSA : il inspecte les voitures fabriquées, de l’auto-radio à la conduite sur terrain accidenté. Il travaillait à l’usine d’Aulnay, qui a fermé, et il a finalement accepté un poste à l’usine de Poissy, même s’il vit de l’autre côté de Paris. Militant à la CGT, il aime discuter avec les ouvrier et aider à la résistance. C’est ce qui lui donne envie tous les matins de se lever. Enfin, une semaine sur deux il se lève en pleine nuit parce qu’il travaille « en équipe », c’est-à-dire avec des horaires qui alternent toutes les semaines. Sinon, il écrit des poèmes, parfois même en réunion.

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Patrick Lemoine a ouvert son premier service de sommeil en 1985 et s’est spécialisé dans le domaine. Psychiatre, il a été praticien hospitalier et directeur d’enseignement clinique à l’université Claude-Bernard de Lyon. Il coordonne actuellement un groupe de cliniques privées. Dans ce cadre, il se rend à l’étranger, notamment en Chine. Il a publié de nombreux ouvrages consacrés au sommeil et à ses troubles, à l’anxiété et au sevrage des médicaments.

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Robert Neuburger est l’auteur d’une quinzaine d’ouvrages, principalement sur la famille, le couple et les enfants. Nourri de psychanalyse, d’anthropologie, d’ethnopsychiatrie ou encore d’épistémologie, le psychiatre et psychanalyste cherche des concepts « fonctionnels » – qui aident les patients – et s’intéresse à la structure de la pensée. À propos de la dépression, du burn-out, de la fatigue, il se montre radical : ce sont des symptômes, qui ne veulent rien dire en eux-mêmes, mais qu’il s’agit de décrypter. En faire des maladies sert avant tout les fabricants de médicaments mais c’est dangereux pour celui qui souffre : une fois que celui-ci est devenu « un fatigué », il lui est difficile de sortir de là. Robert Neuburger a écrit, entre autres, Exister : le plus intime et fragile des sentiments (Odile Jacob, 2012).

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Sylvaine Perragin a travaillé durant quinze ans en entreprise, avant de devenir psychothérapeute. Pour répondre à ses nombreux patients qui se plaignaient de leur travail, elle s’est formée en psychologie du travail en auditrice libre au Cnam (Conservatoire national des arts et métiers), avant de devenir consultante en entreprise parce que « la position de l’écoutante en individuelle n’était pas suffisante. Il fallait s’adresser aux collectifs, et aux employeurs ». Elle a partagé ses constats sur l’évolution des conditions de travail dans Le salaire de la peine : le business de la souffrance au travail (Le Seuil, 2019). La grande majorité des patients qu’elle continue à recevoir sont très fatigués.

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Marc Loriol est sociologue, chercheur au CNRS (IDHES Paris-I). Spécialiste de la fatigue et du stress au travail, il se penche sur la construction sociale de ces notions. Il s’est également intéressé à la protection sociale et aux professionnels de la santé, plus particulièrement aux métiers des services de la fonction publique. Marc Loriol a écrit, entre autres, Le temps de la fatigue : la gestion sociale du mal-être au travail (Anthropos, 2000).

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Médecin interniste, chef de service au CHU de Saint-Étienne, Pascal Cathébras reçoit des patients en consultation pour des situations médicales complexes, que ce soit sur le plan diagnostique ou thérapeutique. Il a également suivi une formation en psychologie et en anthropologie. À la convergence de ses deux centres d’intérêt, il s’intéresse depuis plus de trente ans aux symptômes dits fonctionnels – fatigue chronique, lombalgie, etc. –, et à la construction sociale des catégories diagnostiques. Il a écrit Troubles fonctionnels et somatisation : comment aborder les symptômes médicalement inexpliqués (Elsevier Masson, 2006).

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