Sur son voilier, Gaït parvient à dormir peu et en fractionné parce que ce qu’elle fait lui « procure beaucoup de plaisir » : « Quand j’ai passé un moment difficile, que j’ai réussi, que tout s’est bien déroulé, j’éprouve beaucoup de satisfaction et ça me permet de dépasser l’état de fatigue. Même si elle me rattrape à un moment. Je récupère si possible dans les quarante-huit heures qui suivent. Cela implique de prendre des options de navigation qui le permettent : mettre moins de voile, ne pas naviguer près des côtes… », explique l’ancienne ingénieure informatique partie seule en mer pour plusieurs mois (lire l’épisode 1, « Crevés d’être crevés »).
Quentin, le prof de fac épuisé, constate lui aussi qu’il s’est trouvé moins fatigué quand il a rédigé sa thèse, alors même que les six derniers mois ont été particulièrement intenses et qu’il a terminé par trois jours sans dormir pour pouvoir rendre le travail à temps. Mais il a aimé ces moments d’effervescence intellectuelle. Quand j’ai interviewé Patrice, il revenait de randonnée. L’ouvrier de chez PSA m’appelait depuis sa voiture, sur un parking entre deux arbres, au pied d’une colline dans la Creuse. La journée se terminait. C’était l’été. « Tu vois, là, j’ai une bonne fatigue physique d’avoir bien marché, je suis détendu. À l’usine, c’est pas ça. C’est plus une lutte. » Dans certains cas, ce qui nous fatigue habituellement peut nous doper. Certains parlent de « bonne fatigue », qui s’opposerait à celle du travail et de la contrainte. Et si la fatigue pouvait être agréable ? Ou servir à quelque chose ? En tout cas constituer une expérience à ne pas fuir absolument.

« J’ai fait du kitesurf cet été en Bretagne parce que je me sentais fatigué, j’avais envie de bouger, j’étais maussade. Je voulais accumuler de la grosse fatigue. » Quentin a pratiqué le triathlon un moment, le football à haut niveau, a suivi des stages de surf. L’enseignant insomniaque a besoin d’un sport qui l’épuise et, comme « du côté du physique, tout va bien », qu’il a de l’endurance, il lui faut une bonne dose de dépense d’énergie avant de s’écrouler et de dormir sans se réveiller. La fatigue qui épuise, la fatigue « bien méritée », qui permet de ressentir son corps, voilà ce que recherche le Dijonnais pour arrêter de penser. « Le sport peut devenir une autre forme de dépendance, prévient-il en souriant, mais sans médicaments ni aucun produit, et au grand air. »
« La fatigue du corps libère de la fatigue de l’âme (…). La fatigue rend jeune », écrit Jean-Louis Chrétien dans De la fatigue (Les Éditions de Minuit, 1996).