Souvent, face aux difficultés de la construction européenne, les proclamations d’europhiles enthousiastes ressemblent aux ordonnances des médecins de Molière. On a beau leur parler du Brexit ou des énièmes épisodes de la crise financière grecque, ils ont une réponse toute faite : « Il faut plus d’Europe. » Comme si renforcer un système qui ne fonctionnait pas allait magiquement tout résoudre. Il est vrai qu’en face, les eurosceptiques ne sont pas plus subtils. « Contrairement à ses promesses, l’euro n’a pas généré la prospérité pour tous, alors revenons au franc, et le chômage diminuera », dit en substance Marine Le Pen. En effet, du temps de la monnaie nationale – avant 2002, donc –, la France connaissait le plein emploi… Heureusement, dans cette campagne assez désespérante, on est tombés sur une idée intéressante et travaillée. Thomas Piketty, soutien de Benoît Hamon, veut créer une Assemblée de la zone euro. Autrement dit, mettre – enfin – un peu de démocratie dans la gestion de la monnaie unique.
L’économiste devenu mondialement célèbre grâce à son étude sur les inégalités est un soutien récent du candidat socialiste (il est entré dans son équipe début février, après sa victoire à la primaire de la gauche). Mais depuis, il se démène pour que cette campagne ne sombre pas. Il multiplie les apparitions dans les médias et vient de sortir avec trois juristes un ouvrage rédigé en quelques semaines qui comprend un projet très détaillé (23 articles) de traité de démocratisation de la zone euro, rebaptisé « T-Dem ». La semaine dernière, il nous a reçus dans son bureau, à l’École d’économie de Paris, pour nous expliquer comment ce traité avait été élaboré.

Tout s’est passé autour d’un plateau-repas, dans le bureau du candidat socialiste, juste après sa victoire à la primaire. « Cela fait plusieurs années que je défends l’idée d’un Parlement de la zone euro, et quand je l’ai rejoint, je lui avais dit que je voulais travailler sur l’Europe. Il m’a alors demandé : “As-tu un projet de traité ?” » Thomas Piketty n’en a pas, mais contacte alors Antoine Vauchez, un juriste avec qui il est depuis longtemps en contact. Ce dernier s’associe alors avec deux collègues, Stéphanie Hennette et Guillaume Sacriste. « Ils ont élaboré un texte, contacté plein de spécialistes pour vérifier que, juridiquement, le traité était faisable. Et en quelques semaines, on avait quelque chose de solide », poursuit l’économiste.
Mais pourquoi vouloir changer les institutions européennes ? « Pour certaines personnes, le problème de l’Europe vient des responsables politiques nationaux, qui sont butés et présentent Bruxelles comme l’ennemi, et non pas des institutions, qui sont très bien, répond Thomas Piketty. Je pense au contraire que les politiques sont a priori bons, qu’il n’y a pas de conflit culturel irrémédiable et que si les institutions le permettaient, les politiques de tous les pays seraient ravis de coopérer. »