Vous connaissez l’histoire du ministre, du chevalier blanc et de la « reine de la futilité » ? C’est l’histoire d’une guerre sans fin entre des personnes dont les chemins ne se seraient jamais croisés il y a quelques années de cela. Oui mais voilà, on est en 2023, l’ère de la toute-puissance des réseaux sociaux, des clashs qui les nourrissent et de l’emballement permanent. Une combinaison qui a conduit Booba
Exemple : « Alors mes amours, je voudrais vous parler de Fast Formation. C’est chanmé, c’est des formations qui sont 100 % gratuites puisqu’elles sont agréées par l’État. C’est des formations qui vous permettent d’apprendre à gagner de l’argent grâce aux réseaux sociaux. » Celle qui parle, c’est Maeva Ghennam, starlette de la téléréalité (Les Marseillais vs le reste du monde, Les Marseillais : Asian Tour, Les Marseillais aux Caraïbes…), 3,3 millions d’abonnés sur Instagram. Et accessoirement, influenceuse représentée par l’agence Shauna Events, censée gérer ses partenariats. Difficile de tenir ses troupes. Car ici, nous sommes dans un cas patent de publicité frauduleuse au CPF, le compte professionnel de formation. Derrière le discours trompeur et les promesses de gratuité, la formation se résume souvent à quelques modules vidéo prêts à consommer. Pire, certains « organismes » promettent de repartir avec un iPad financé sur le dos du CPF, mais à quatre fois son prix, la différence partant dans la poche du formateur.
Je me suis retrouvé à être le réceptacle d’un certain nombre de sollicitations d’internautes, qui m’envoyaient des liens vers des publicités d’influenceurs où rien n’allait.
Les mots de Maeva Ghennam sont arrivés jusque dans l’hémicycle, où le député socialiste Arthur Delaporte les a rapportés en octobre dernier pour faire réagir ses collègues aux dérives qui coûtent des millions d’euros à l’État. « Ce jour-là, j’ai percé la bulle sans le savoir, sourit l’élu. Je me suis retrouvé à être le réceptacle d’un certain nombre de sollicitations d’internautes, qui m’envoyaient des liens vers des publicités d’influenceurs où rien n’allait. » Les risques du métier ? Mais quel métier à vrai dire ? C’est que nous allons détailler dans cette série. Une chose est sûre, la profession pèse aujourd’hui.
Si Maeva Ghennam est une influenceuse des sommets avec ses millions d’abonnés, il existe en réalité 150 000 influenceurs en France, de toutes tailles. 44 % ont une audience comprise entre 1 000 et 5 000 abonnés. On les appelle des « nano-influenceurs », mais selon leur spécialité, ils peuvent malgré tout attirer des marques désireuses de s’adresser à un public ciblé. Selon l’agence Reech, qui étudie ce marché depuis plusieurs années, 15 % des influenceurs le sont à plein temps et seuls 6 % d’entre eux gagnent plus de 20 000 euros par an grâce à cette activité ; 2 % parviennent à passer le seuil de 50 000 euros. Et il vaudrait d’ailleurs mieux utiliser le féminin, dans la mesure où les trois quarts de la profession est composé de femmes… qui gagneraient en moyenne 31 % de moins que leurs homologues masculins. Pourtant, le gâteau grossit d’année en année. En 2019, le marché mondial du marketing d’influence était de 5,5 milliards d’euros. L’Arpp, l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité, estime qu’il est passé à 12 milliards d’euros en 2021.
Dans ce monde, les rémunérations ne sont pas seulement financières. Il peut aussi s’agir de rétributions en bons d’achat sur le site de la marque, d’envois de produits, de voyages, d’accès à des événements ou à des services en échange de « stories » quotidiennes. La quantification reste difficile, mais l’impact est de mieux en mieux mesuré : une relation de confiance se crée entre la personne qui partage sa vie sur les réseaux sociaux et celles et ceux qui la suivent. Et plus l’influenceur prend soin d’échanger avec sa communauté dans les commentaires, plus il crée du lien, plus le taux d’engagement est fort et séduit les marques.
Le revers de la médaille, ou plutôt de la « ring light », du nom de l’anneau lumineux qui permet aux vidéastes d’avoir un joli teint en ligne, est en revanche parfois tragique. Dans son rapport d’information, le député Arthur Delaporte relève une augmentation des admissions à l’hôpital à cause des régimes promus par les influenceurs, un boom des opérations de chirurgie esthétique et une hausse des tentatives de suicide et des détresses psychologiques chez ceux qui ont suivi des recommandations de placements financiers à risque. Devant l’ampleur du sujet qu’il découvre, son groupe parlementaire décide alors d’inscrire le sujet à l’ordre du jour de sa niche parlementaire, pour le mois de février 2023.
Mais d’autres élus, sans savoir qu’il en est de même dans tous les groupes (exception faite du RN), sont eux aussi en train de se pencher sur le sujet, qui fait de plus en plus de bruit : l’écologiste Aurélien Taché, les Insoumis Nadège Abomangoli et François Piquemal, le député Renaissance Stéphane Vojetta et, chez Les Républicains, Virginie Duby-Muller. Le ministère des Finances, qui s’intéresse aussi au sort des influenceurs depuis l’automne, travaille déjà avec Stéphane Vojetta. Celui-ci pointe qu’« il existe un sentiment d’impunité de la part des personnes qui font ces arnaques, qui tient au fait que jusque-là, il y a eu un manque d’écoute de la part du gouvernement ». Mais des signaux sont envoyés pour montrer que la donne change.
Les créateurs de contenus sont des jeunes qui créent de l’emploi en France. Ils divertissent, informent et développent leurs audiences. Il faut tout faire pour les aider à se développer dans un environnement rassurant et sain.
En décembre 2022, une table ronde est organisée à Bercy, rassemblant les acteurs du marketing de l’influence, pour réfléchir à un encadrement. Magali Berdah n’y a cependant pas été conviée. Ni elle ni aucune agence travaillant avec les influenceurs de la téléréalité, comme son grand concurrent We Events. Le signe, déjà, que des clans se forment dans le secteur de l’influence. D’ailleurs, une fédération s’est créée sans elle. L’Union des métiers de l’influence et des créateurs de contenus (Umicc) a fixé des règles d’adhésion strictes visant à exclure les influenceurs dubaïotes et les stars de la téléréalité. Le but : montrer que derrière l’épouvantail Berdah, il existe une profession prête à s’autoréguler
En apprenant qu’une proposition de loi va être proposée par Arthur Delaporte, le ministère joue les entremetteurs pour qu’un travail transpartisan se mette en place et, le 31 janvier, le socialiste et Stéphane Vojetta présentent conjointement un texte « visant à lutter contre les arnaques et les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux ». Celui-ci fusionne les travaux des deux députés, « très complémentaires », relève Arthur Delaporte. « J’avais travaillé sur un volet de définition du terme “influenceur”, et d’interdiction vis-à-vis de certains secteurs. De son côté, Stéphane Vojetta avait développé un volet contractualisation et lien avec les plateformes. » Une proposition de loi préparée en collaboration avec le ministère des Finances qui, de son côté, a mené plusieurs tables rondes réunissant agences et influenceurs, ainsi qu’une grande consultation qui a recueilli 4 650 avis en janvier dernier. Fait rarissime, la commission des affaires économiques a voté la proposition de loi des députés à l’unanimité.
Vendredi dernier, Bruno Le Maire a présenté le résultat de ces travaux, entouré d’Arthur Delaporte et de Stéphane Vojetta, et des ministres Jean-Noël Barrot, chargé de la Transition numérique, et Olivia Grégoire, chargée des PME. Treize mesures vont être déployées pour encadrer les pratiques commerciales des influenceurs. À commencer par livrer, pour la première fois, une définition de ce qu’est l’influence, intégrée au Code de la consommation. Selon la formule retenue, « l’influence commerciale est considérée comme la pratique consistant à créer et diffuser, à l’intention du public français, par un moyen de communication électronique, des conseils ou contenus faisant la promotion, directement ou indirectement, de produits ou de services en contrepartie d’un bénéfice économique ou d’un avantage en nature ».
Si Bercy
Une proposition de loi ne permet cependant pas de toucher au nerf de la guerre : les ressources allouées au contrôle de toutes ces règles. Les annonces de Bruno Le Maire étaient donc très attendues sur ce volet. Seul le ministère peut annoncer le déblocage de moyens supplémentaires pour qu’enfin la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) puisse freiner les dérives des influenceurs. L’annonce de la mise en place d’une « brigade de l’influence commerciale » dotée de quinze agents paraît donc aller dans le bon sens. Cette équipe devra « surveiller les réseaux sociaux, répondre aux signalements et prendre les sanctions adaptées. Elle pourra notamment adopter des sanctions, faire fermer des comptes et saisir si nécessaire le juge en cas de manquement », précise Bercy. En confirmant qu’il s’agissait bien de quinze postes créés, la nouvelle a surpris jusqu’à la DGCCRF elle-même. C’est une première après des années de vaches maigres pour l’organisme public qui a vu fondre ses effectifs ces dernières années. À l’heure où nous écrivons ces lignes, la promesse est belle : « L’équipe créée est un réseau d’enquêteurs spécialisés, immédiatement mise en place. » Reste à savoir d’où viendront ces quinze recrues, et si elles seront plus que des super community managers, se cantonnant à « répondre aux signalements » là où les besoins d’enquêtes et de terrain sont abyssaux.
Mis à jour le 1er juin 2023 à 17 h 37. Le Parlement a définitivement adopté jeudi 1er juin la loi qui encadre et régule le métier d’influenceur et commence par lui donner une définition : il s’agit de personnes qui, en ligne, contre rémunération ou avantage en nature, « mobilisent leur notoriété auprès de leur audience pour communiquer des contenus visant à faire la promotion, directement ou indirectement, de biens, de services ou d’une cause quelconque. » Le texte interdit la promotion de certaines pratiques, comme la chirurgie esthétique ou de certains dispositifs médicaux, ainsi de produits contenant de la nicotine, mais, curieusement pas de l’alcool. La loi encadre également les agents d’influenceurs : au delà d’une certaine somme, un contrat écrit sera obligatoire. Et pour celles et ceux qui vivent au paradis des influenceurs, Dubaï, pas question d’espérer échapper à la loi : ils devront souscrire une assurance civile dans l’UE, pour indemniser des victimes et désigner un représentant légal dans l’UE.