Cela fera bientôt trente-cinq ans que Véra Tur observe de près les ravages du clientélisme marseillais. Directrice de l’école publique Félix-Pyat, dans le quartier Parc Bellevue, à la frontière du centre-ville et des quartiers nord de Marseille, elle a pris son premier poste ici en 1983, et n’en est jamais repartie. Ici, elle bataille depuis toujours contre ce fléau de la politique locale. Quelques quarts-de-sel tiennent les votes, font du chantage auprès des candidats, leur apportent les suffrages d’une partie du quartier contre logements, emplois ou subventions. C’est la démocratie des quartiers populaires marseillais, qui rend les habitants serviles. Dans le bureau de vote 358, dont dépend le quartier, l’abstention a dépassé les 46 % au premier tour de la présidentielle. Jean-Luc Mélenchon est arrivé en tête (49,68 %), Emmanuel Macron, soutenu par des associations comoriennes de la ville, a fait 24,90 %. La présidentielle est moins sujette que les scrutins locaux au clientélisme. Qui reste un sujet aux législatives.
Véra Tur est une figure importante de ce quartier très pauvre. Elle mène des projets passionnants, a embarqué ses élèves sur plusieurs continents pour en rapporter des livres de voyage que l’on retrouve jusqu’au musée du quai Branly à Paris, ses élèves ont enregistré un CD de chansons l’année dernière, vont monter une comédie musicale l’an prochain. Elle reviendra en bénévole : elle prend sa retraite dans quelques semaines. Abandonne à regret une école qui manque de moyens, de personnel, pour laquelle il faut constamment arracher des financements, pendant que, dans le quartier, « il y a toujours un élu pour saupoudrer quelques emplois, de coursier ou de manutentionnaire au conseil général, ou bien des logements, des subventions, en échange de services électoraux ». Cela ne sert que quelques-uns, dit-elle. « Et cela tue pour les autres le rapport à la politique. »
« Félix-Pyat », ainsi qu’on appelle couramment la cité – alors que « Parc Bellevue », cela sonnait tout de même plus chic – est un concentré de misère. Les près de 5 000 habitants viennent très majoritairement des Comores, un peu d’Algérie, plus rarement de Tunisie et du Maroc. C’était une copropriété, qui a commencé à se dégrader lorsque l’emploi s’est fait la malle, en même temps que l’activité du port industriel, à quelques rues de là.