«Bravo ! Bravo pour votre travail ! » L’homme qui vient de sauter sur Tristan Waleckx n’est pas un journaliste de l’équipe de Complément d’enquête venue en masse soutenir son collègue en ce jour de jugement. Il n’est même pas concerné par l’affaire Bolloré contre France 2. Non, vêtu d’un T-shirt bleu sur lequel est inscrit « Trop forts », il attendait un autre jugement dans une autre affaire dans la même salle d’audience. À l’annonce de la relaxe, il s’est mis à applaudir, se faisant rabrouer. À la sortie, il fait plein de petits bonds autour de Tristan Waleckx : « Bravo ! Avec Bolloré, il suffit de tousser et bim ! »
Et bim, diffamation, devant le tribunal de grande instance de Nanterre, 450 000 euros demandés pour le reportage de Complément d’enquête intitulé « Bolloré un ami qui vous veut du bien ? » diffusé par France 2 en avril 2016 et lauréat du prix Albert-Londres en 2017. Bim, dénigrement devant le tribunal de commerce cette fois, une procédure atypique puisqu’un droit spécifique à la presse existe, mais de plus en plus utilisée pour dissuader les journalistes d’enquêter. Là, c’est 50 millions d’euros que réclame en toute simplicité Bolloré. Et bim enfin, une troisième plainte, au Cameroun cette fois, déposée par la Socapalm, société dont Vincent Bolloré est actionnaire, et pour laquelle Tristan Waleckx et la présidente de France Télévisions Delphine Ernotte risquent carrément des peines de prison.
C’est dire si ce premier des trois jugements était attendu. L’audience, en avril dernier, avait été épique, fleuve, marquée par les attaques d’Olivier Baratelli, éternel avocat de Bolloré (lire l’épisode 90, « Bolloré préfère les compliments d’enquête »). Neuf passages concernés soit dix minutes du documentaire. Neuf passages, tous sur l’Afrique, c’est toujours sur l’Afrique que Bolloré attaque. Le Cameroun, en l’occurrence, théâtre de juteux bollo-business. Les palmeraies de la Socapalm d’abord, dont l’homme d’affaires est actionnaire, et leurs conditions de travail indignes, sans protection, les logements misérables et les sous-traitants qui n’hésitent pas à employer des mineurs, dont l’un donne son âge à la caméra : 14 ans. Autre séquence, le port camerounais de Kribi dont l’exploitation avait été attribuée au consortium auquel participait Vincent Bolloré, raconte le Complément d’enquête, après une visite du président François Hollande à son homologue Paul Biya, et ce alors qu’il en avait été précédemment écarté.
Baratelli avait sorti la sulfateuse, sommé Waleckx de réciter l’actionnariat de la Socapalm, dégainé des cartes pour tenter de montrer que France 2 n’avait pas tourné dans le bon village, sorti des documents de dernière minute et même exhibé des selfies de lui, Olivier Baratelli, avec des ouvriers de la Socapalm très bien équipés pour récolter les piquantes noix de palme.