Deux journalistes sont dans un amphi. L’un est muni d’un stylo, l’autre d’un appareil photo. Lequel essuie le plus de regards courroucés, de mains devant le visage, d’esquisses de fuite ? Le photographe, évidemment.
Pour le premier épisode de l’obsession L’étincelle (lire l’épisode 1, « À la recherche de la colère »), nous avons assisté ensemble à deux AG d’universités, à Nanterre et Tolbiac. Pour ne prendre personne en traître, nous avons commencé par nous présenter et attendre, en bas des marches. La coutume estudiantine veut qu’en début de séance, la présence de la presse et l’étendue de sa liberté de mouvement soient mises aux voix, à main levée. Ce mercredi, pour la première fois depuis le début du mouvement, les étudiants de Paris-VIII ont joué à guichet fermé en votant le départ des journalistes.
À Nanterre, la semaine dernière, pendant les minutes de flottement où la discussion se met en route, un confrère nous glisse à l’oreille qu’il a l’impression d’être à son procès. Le modérateur du débat nous introduit : Il y a des journalistes, ils veulent savoir s’ils peuvent assister à l’AG.
Silence relatif, brisé par le premier mécontent précisant qu’il ne veut pas apparaître sur les photos. Une poignée d’étudiants embrayent, lèvent la main et les scrupules des autres.

On leur suggère de se regrouper au dernier rang pour rester hors-champ. Ceux qui trouvent l’idée acceptable commencent à se déplacer. Le reste râle. Un photographe joue son va-tout en expliquant qu’il a besoin de pouvoir rendre l’ambiance. Quelqu’un saute sur l’occasion : D’accord, faites l’ambiance, mais de dos.
La plupart des présents, sauf nous, trouvent que c’est la meilleure idée.
Personne ne se manifeste pour savoir ce qu’on a dans le ventre, comment on travaille ou ce qu’on fait là. Les propositions alternatives – de face mais en plan large, pas de portrait sans l’accord de chacun – ne passent pas. En quelques secondes, c’est expédié : ce sera donc de dos. La configuration des lieux, des gradins surmontés de coursives, permet tout de même une certaine variété de vues aériennes.
À Tolbiac, deux jours plus tard, le climat est un peu plus tendu et le principe des photos, même de loin, de dos ou de groupe, est refusé. Au passage, deux-trois interpellations fusent – dégagez
, collabos
–, mais le vote nous permet de rester pour prendre des notes. Bredouilles en images, un poil vexés, on rentre en jouant les vétérans du CPE.