La silhouette familière de l’incinérateur d’Ivry – en fait situé dans le XIIIe arrondissement de Paris – est visible de loin. Ses deux cheminées, hautes et fines, crachent de la fumée blanche à longueur de journée. Pour accéder à l’entrée du site, il faut dépasser le boulevard des Maréchaux et marcher sous le pont du périph. Ce lundi, le piquet de grève colle bien à son image d’Epinal. Un feu de palettes brûle devant la porte. Une banderole a été accrochée sur le portail fermé. Les éboueurs ont laissé un tas de déchets sur le parvis. Très inspirant, ce tas : une équipe de BFMTV fait son direct devant.
Des syndicalistes CGT, trempés malgré leurs K-ways, distribuent des tracts sans ambiguïté, en lettres jaunes sur fond rouge : A partir du 30 mai 2016 ON BLOQUE TOUT.
C’est le nouveau mot d’ordre contre la loi travail : depuis la mi-mai, la CGT encourage le blocage économique
de lieux stratégiques, sites pétroliers et centrales nucléaires la semaine dernière, et, depuis lundi matin, « le plus grand centre de traitement des déchets ménagers d’Europe ».

Sur le site, les éboueurs viennent de différents quartiers de Paris et de la petite couronne. Ils désignent du doigt Régis, notre secrétaire général
pour les questions. Beau mec de 49 ans au regard décidé, Régis Vieceli est une sorte de figure locale. Eboueur depuis 21 ans, en détachement syndical ces dix dernières années, le secrétaire général de la CGT Nettoiement à la ville de Paris navigue entre l’entrée et deux barnums installés pour se protéger de la pluie, à la recherche de volontaires qu’il envoie acheter des bâches, au Leroy Merlin juste en face.
Il connaît bien les lieux. En 2010, contre la réforme des retraites, on a fait trois semaines de blocage ici.
Comme aujourd’hui, les raffineurs avaient commencé et les éboueurs suivi le mouvement. On ne peut pas les laisser seuls, ce serait une grève par procuration
, explique Régis. Alors depuis vendredi, il a contacté des syndiqués qui savent faire une occupation
pour qu’ils libèrent leur lundi matin, en gardant la cible secrète jusqu’au dernier moment.
Une centaine de personnes dans la confidence ont débarqué à 7h45 pour bloquer les issues. Ils sont encore une quarantaine en début d’après-midi ce lundi. Les camions-poubelle ne peuvent plus entrer pour décharger les ordures collectées dans Paris et 14 communes alentour. Ils sont déroutés vers Saint-Ouen, Issy-les-Moulineaux et Romainville.