Dans une Turquie devenue la plus grande prison pour journalistes dans le monde, le photographe Antonin Weber (du collectif Hans Lucas) a pu, pour Les Jours, passer du temps en immersion dans la rédaction de Cumhuriyet, quotidien de référence, presque centenaire, et l’un des derniers médias indépendants du pays. Ses journalistes se battent pour continuer d’informer, alors que 11 d’entre eux sont en prison depuis des mois, 19 poursuivis, risquant jusqu’à 43 ans de prison pour « complicité de terrorisme ». Pour Reporters sans frontières, « le parquet turc criminalise ouvertement une ligne éditoriale critique du président Erdogan, en l’assimilant à une forme de terrorisme ».
En Turquie, les charges contre les journalistes sont souvent absurdes. Le but est d’intimider et de museler dans une période où le peuple doit se prononcer, ce dimanche 16 avril, sur un référendum constitutionnel décisif qui peut transformer légalement le pays en dictature. Depuis le coup d’État manqué de cet été, selon un dernier décompte réalisé cette semaine, 149 médias ont été fermés par le pouvoir, dont 28 chaînes de télévision, 30 radios et 85 quotidiens et magazines. Au 1er avril, 228 journalistes turcs étaient derrière les barreaux et une centaine au moins forcés à l’exil (des ordres d’arrestation ont été lancés contre 92 d’entre eux). Un contexte qui permet de mesurer le courage nécessaire aux journalistes de Cumhuriyet pour simplement continuer leur travail : informer honnêtement le peuple turc.
Photo Antonin Weber pour Les Jours.
L’entrée du quotidien Cumhuriyet est surveillée par la police depuis octobre 2016. Onze journalistes du titre ont été incarcérés depuis.
Photo Antonin Weber pour Les Jours.
L’absence. Dans le coin de la pièce, le bureau vide de Murat Sabuncu. L’ancien rédacteur en chef a été arrêté en octobre. Selon Bülent Özdogan, actuel rédacteur en chef, l’emprisonnement des journalistes est une raison de continuer à faire ce métier.
Photos Antonin Weber pour Les Jours.
Nazan Özcan, journaliste et éditorialiste : «Personne n’est journaliste pour l’argent ou pour la stabilité, et encore moins en Turquie. Vous le faites par passion, pour défendre une idée démocratique. Je ne suis pas courageuse: je fais mon travail, je me bats contre ce sentiment d’oppression, de terreur. Je me bats pour ne pas perdre mon âme.»
«J’aime la jeunesse, sa façon d’être libre, continue-t-elle.