Les conséquences seront lourdes pour la Turquie, dont le peuple a partiellement renoncé, hier par référendum, à sa démocratie. Mais la victoire du « oui » du président Erdogan est finalement si courte (51,18 %, selon l’agence de presse officielle Anadolu, les résultats définitifs étant attendus dans dix jours) qu’elle constitue une gifle pour lui, et un espoir ténu pour tous ses opposants. « Ce n’est pas notre défaite, c’est la leur », se répétait dimanche soir Leyla, la sociologue de Galatasaray qui estimait voilà un mois dans Les Jours qu’une « vague de résistance » commençait à monter « chez les gens ordinaires » en Turquie (lire l’épisode 9, « La société turque, la grande muette » ). « Ce résultat, espère-t-elle, peut être le début d’une solidarité contre l’hégémonie de l’AKP. »
Les grandes villes turques ont voté contre le référendum de Recep Tayyip Erdogan. Izmir la laïque (à 68,78 %), comme c’était prévu, mais aussi Istanbul (51,35 %), Ankara (51,13 %), deux villes qui votaient AKP, parti ultradominant du Président, aux précédentes élections. Toute la façade ouest de la Turquie, le long de la mer Egée, a refusé les amendements législatifs, et même une ville comme Mersin, pourtant acquise depuis 2014 aux ultranationalistes du MHP, allié de Recep Erdogan dans ce référendum, a choisi nettement le « non » (64,02 %), tout comme l’essentiel du Kurdistan turc, au sud-est, et les régions du sud qui bordent la Syrie et l’Irak. La majorité pour le « oui » est apportée par l’Anatolie profonde. La carte publiée par l’agence Anadolu traduit bien ce repli sur les vraies bases électorales traditionnelles de l’AKP. Une Turquie conservatrice et musulmane, aveuglément fidèle au Président, après avoir été longtemps méprisée par les élites laïques du pays.

En Europe, où les chancelleries se sont exprimées prudemment après l’annonce de la victoire d’Erdogan, les résultats sont très disparates. Dans les pays comptant le plus grand nombre de citoyens turcs – importantes diasporas travaillées intensivement par Ankara –, le « oui » l’emporte beaucoup plus largement qu’au pays. En Allemagne (63,1 %) et aux Pays-Bas (70,90 %), où d’importantes polémiques ont opposé les gouvernements à Recep Tayyip Erdogan, qui avait notamment accusé les Allemands de « pratiques nazies ». Mais aussi en Belgique (76,70 % pour le « oui »), et en France (64,80 %). Treize points de plus qu’au pays tout de même, offerts par une immigration traditionnellement conservatrice.