Quand les journalistes turcs l’interrogent sur les discussions en cours à la Grande Assemblée (le Parlement) de Turquie, Recep Tayyip Erdogan répond que ce projet de loi n’a « rien à voir » avec lui. C’est bien modeste. Les députés votent ces jours-ci des amendements voulus par le président pour changer la Constitution et lui attribuer des pouvoirs exceptionnels. Erdogan en concentre déjà beaucoup. Cette fois, la Constitution l’autorisera à diriger seul le pays, en mettant dans ses mains absolument tous les leviers. Les principaux amendements sont effarants. Une véritable recette de la dictature légalisée. Pourtant, les votes montrent que le texte passera au Parlement. Restera à le faire valider au printemps par un référendum populaire organisé en plein état d’urgence, avec une population maintenue dans une totale sous-information sur les enjeux de ce scrutin.
La discussion parlementaire se déroule en deux rounds. Le premier, la semaine dernière, a permis jusque tard dimanche soir de préciser le package d’amendements qui sera soumis au référendum. Les députés les discutent à présent dans le détail, et s’ils les adoptent (théoriquement d’ici mardi soir), ce package sera soumis au référendum populaire dans les premiers jours d’avril. Les citoyens n’auront guère d’alternative. Il devront dire « oui » ou « non » en bloc à dix-huit amendements qui transforment le régime parlementaire turc en une sorte d’hyper-présidence exécutive, avec des pouvoirs extrêmement concentrés entre les mains du seul président. La fonction de Premier ministre serait supprimée et les prérogatives du chef du gouvernement intégralement transférées au président. Ce dernier pourrait choisir des « vice-présidents » non élus, et nommer ou limoger ses ministres, ainsi que les principaux hauts fonctionnaires, le commandement de l’armée, les recteurs, etc.
S’il est réélu en 2019, Recep Tayyip Erdogan ne serait plus tenu à la neutralité : un amendement prévoit que le chef de l’État pourra rester chef de parti. Il pourrait gouverner par décrets présidentiels, sur lesquels le Parlement n’aurait aucun droit de regard (seule la Cour constitutionnelle, a posteriori, vérifierait leur validité). Il pourrait également prendre des « décrets-lois extraordinaires », dérogeant à la Constitution, dans une sorte d’état d’urgence permanent.

Sur les quinze juges de la Cour constitutionnelle, le président en nommerait quatre de façon directe, huit de façon indirecte.