Voilà un peu plus d’une semaine, Les Jours consacraient deux articles au retour de la torture en Turquie. Dans le premier, plusieurs témoins faisaient état de viols, de menaces, de fréquents passages à tabac. Dans le second, j’expliquais comment les décrets-lois pris depuis la tentative de coup d’État du 15 juillet dernier installent un « sentiment d’impunité » dans les commissariats. En fait, c’est pire que cela. Ce n’est pas un « sentiment », mais une véritable impunité qui est désormais offerte aux policiers, comme vient de le prouver le procureur de Trabzon, dans le nord-est du pays, dans une décision motivée datée du 5 janvier, à laquelle Les Jours ont eu accès.
Le magistrat devait statuer sur la plainte d’un homme qui affirme avoir subi des mauvais traitements en garde à vue à Trabzon. Plutôt que d’ouvrir une instruction, le procureur a déclaré la plainte irrecevable, au motif que les actes commis par les fonctionnaires dans le cadre de l’état d’urgence sont désormais exempts de toute responsabilité. Le justiciable affirmait avoir reçu des menaces et des coups de la part de « policiers de garde à la préfecture de police » de Trabzon. Une enquête a été ouverte, que le procureur a vite refermée. « Il n’y a pas lieu à poursuites judiciaires », écrit-il, car « comme précisé dans l’article 9 du décret n° 667 du 22/07/2016, “la responsabilité juridique, financière ou pénale des personnes qui commettent des actes et des décisions en remplissant leurs missions dans le cadre de ce décret n’est pas engagée” ». Autrement dit, résume-t-il ensuite, « il existe une interdiction de poursuites judiciaires à l’encontre des accusés ». Quelle que soit la portée des actes, délits ou crimes, l’impunité, légalement instituée.
Cet article 9, qui exonère en réalité de toute responsabilité, même « criminelle », se trouve à la toute fin du texte. Après une série d’articles qui balaient les autres garde-fous protégeant théoriquement de la torture. Durée maximale de garde à vue portée à trente jours, dont cinq sans voir un avocat, enregistrement des conversations entre les avocats et leurs clients (ce qui dissuade ces derniers de se plaindre de mauvais traitements), remplacement de certains avocats par des commis d’office au gré du procureur, etc. Autant de décisions qui ont changé le climat dans les commissariats et les gendarmeries, comme me l’expliquait en novembre