Les ennuis d’Adnan n’avaient pas attendu le coup d’État manqué du 15 juillet 2016 en Turquie, mais la vie de ce chef d’entreprise n’a vraiment basculé qu’au lendemain du putsch. Il sortait alors de soixante-trois jours de détention provisoire, parce qu’on le soupçonne, comme il nous l’a confié (lire l’épisode 7, « Soudain, sans raison, la prison »), d’avoir aidé la confrérie Gülen, ex-alliée devenue ennemie numéro un du président Erdogan. Mais après le 15 juillet, il s’est soudain retrouvé banni de ses affaires, paria de tous côtés. Comme des dizaines de milliers de citoyens, il a découvert que les purges, en Turquie, s’accompagnent souvent d’une mise à mort sociale.
« Jusqu’en juillet, j’avais deux associés, raconte-t-il en se tenant droit dans son costume sombre, sur la terrasse d’une cafétéria dans un centre commercial. On avait huit compagnies différentes, dans les pièces détachées automobiles et le textile, on s’entendait très bien. Quand j’ai été arrêté au printemps 2016, ils ont été présents : ils savaient que c’était une erreur, que j’ai des amis gülénistes mais que je ne le suis pas moi-même. Mais après le coup d’État du 15 juillet, l’ambiance a complètement changé dans le pays. Les gülénistes sont devenus les traîtres. On les accuse d’avoir essayé de tuer la démocratie, d’avoir voulu morceler la nation. Ici, c’est une accusation terrible. Mes associés m’ont dit qu’ils ne pouvaient plus travailler avec moi. On s’est réunis, je n’ai rien discuté, j’ai signé. Sur les huit compagnies, j’en ai gardé deux et on ne s’est jamais revus. » Ses deux sociétés ont alors commencé à décliner : les clients ne veulent plus acheter chez lui et les fournisseurs ne veulent plus rien vendre. « Si vous tapez mon nom sur Facebook, explique-t-il, vous trouverez plein de pages sur mon arrestation. »
Vous faites partie d’une organisation terroriste, il y a un risque économique mais aussi pénal pour nous. Nous ne pouvons pas nous permettre d’être accusés de vous soutenir.
Adnan est alors allé voir son banquier, pour essayer de trouver un peu d’air, d’obtenir un prêt. « Il ne voulait plus me donner de carnet de chèques, ni m’accorder de crédit. Officiellement en raison des difficultés financières de ma société, mais dans son bureau il m’a dit : “Vous faites partie d’une organisation terroriste, il y a un risque économique mais aussi pénal pour nous. Nous ne pouvons pas nous permettre d’être accusés de vous soutenir.” J’ai fermé mon compte dans cette banque, mais c’était pareil dans les autres. » Adnan a alors compris que sa mise à l’écart serait totale.

Pour lui, l’isolement a été progressif.