Elle dit que la marche a été une parenthèse délicieuse
au milieu de toute cette souffrance qu’encaissent et lisent les Turques en ce moment. Des manifestations étaient organisées dans tout le pays mardi soir, le 8 mars, dans le cadre de la journée des femmes. Très peu de violences, sauf à Çorum (nord-est), où le cortège féminin qui reprenait des slogans appelant à la paix dans les provinces kurdes a été attaqué par des ultranationalistes – les liens entre féminisme et lutte kurde ne sont pas nouveaux, ils ont commencé à se tisser au début des années 90, contre deux formes d’oppression ancrées dans cette Turquie nationaliste et très machiste (lire l’épisode 3, « Femmes : les pressions insidieuses »).
Dans le centre d’Istanbul, une longue marche ne réunissant que des femmes, des banderoles et drapeaux violets (la couleur des luttes LGBT), sur une avenue Istiklal – l’ancienne grande rue d’Istanbul, dédiée aux déambulations et aux manifestations qu’en général, la police réprime – noire de femmes.
Il y a aussi beaucoup de joie en Turquie, du fatalisme moqueur, des mobilisations, des militants qui se bagarrent, de l’espoir, des énergies.
« C’était particulièrement fort, raconte Anna, après les semaines que nous venons de passer. » Française exilée à Istanbul, lesbienne, féministe et militante, elle lit beaucoup la presse française et anglo-saxonne, déprime de l’image donnée de la Turquie. « Le plus souvent, ce que je lis est exact, dit-elle, mais tout ce qui est sombre est concentré. Cela dresse des tableaux terriblement noirs qui ne ressemblent du coup pas à ce que nous vivons ici. Il y a aussi beaucoup de joie en Turquie, du fatalisme moqueur, des mobilisations, des militants qui se bagarrent, de l’espoir, des énergies que l’on ne sent jamais dans ces papiers. Ce que je lis me fait plus flipper que ce que je vis en réalité. » Ce mercredi matin, elle a scruté les journaux français et anglais sans rien lire de la marche qui l’avait tellement impressionnée la veille. Elle avait envie de raconter, que l’on connaisse aussi ces moments-là.

Je n’ai pas vu de chiffres, je ne sais pas combien on était, mais c’était vraiment impressionnant à voir. On avait rendez-vous devant le centre culturel français à 19 heures ; quand je suis arrivée, l’avenue était déjà noire de monde.
Le gouverneur (l’équivalent du préfet) avait interdit la manifestation, officiellement en raison du risque terroriste. Mais contrairement à ce qui s’était passé lors de la dernière gay pride, la police n’a, cette fois, jamais chargé. « C’est devenu rare, poursuit Anna.