Depuis l’élection de Donald Trump, le clonage de ses techniques électorales les plus grossières prospère davantage encore chez les populistes de France. Après tout, s’il a réalisé l’inimaginable contre toute attente et d’abord celle des grands titres de la presse américaine, jusque-là réputés pour leur qualité et leur influence, pourquoi pas eux, ici et maintenant ? Alors haro sur les « bien-pensants » chers à Nicolas Sarkozy ! Bouh… bouh… les vilaines « élites déconnectées », comme dit l’un de ses plus éminents représentants, Bruno Le Maire. Marre des « débats et sujets interdits » (islam, sécurité, immigration, identité, protectionnisme…), comme le serine Jean-François Copé. Fuck la « pensée unique », comme l’assènent à longueur de débat les sept mercenaires Les Républicains. Et gloire aux candidats «antisystème» bien sûr – cénacle en vogue, dans lequel Emmanuel Macron a pris son rond de serviette.
Du Brexit à Trump en passant par la Hongrie, la Pologne ou l’Italie des clowns Berlusconi et Grillo, l’irrationnel, le déni de réalité, la volonté de flatter les instincts et de stigmatiser les plus fragiles priment sur la complexité, l’explication, la quête de vérité, toutes choses que les journalistes tentent de mettre en lumière – c’est l’une de leurs principales raisons d’être. Mais qui veut l’entendre parmi ceux que les populistes ferrent ainsi en accusant la presse d’être un pilier du « système » ?

Poser ce constat m’a semblé nécessaire avant d’aborder – calmement, en ces temps de maxisurchauffe – le sujet de ce nouvel épisode : la déconnexion supposée des journalistes avec le « pays réel », « l’entre-soi » dans lequel vivraient des élites médiatiques, politiques et académiques pour reprendre les termes d’un article de l’économiste et spécialiste des médias français et américains Julia Cagé, paru dans Le Monde au lendemain de la défaite d’Hillary Clinton.
Le sujet n’est certes pas nouveau mais il est toujours légitime. Il est surtout d’une actualité torride. La presse, dont l’une des vocations majeures est d’être un contre-pouvoir, est stigmatisée comme jamais par les autoproclamés candidats antisystème – de Marine Le Pen à Jean-Luc Mélenchon. Elle serait l’outil de la domination des élites pour imposer au peuple son agenda et ses idées, tout en censurant sa parole. À les entendre, elle est un pilier de la confiscation de la politique en ne structurant pas le débat public comme elle le devrait.