Dans les deux épisodes précédents de La fête du stream, j’ai raconté comment les musiques de mood, ou d’ambiance, une nébuleuse sonore à qui l’on confie la bande originale de notre quotidien, sont devenues omniprésentes dans les playlists proposées par les plateformes de streaming. Elles répondent là à un vieux besoin des auditeurs, qui remonte à bien avant le streaming ou même internet, d’écoute passive et bienveillante. Mais pour les plateformes, le mood redessine aussi complètement la façon d’organiser la musique et de la présenter à leurs utilisateurs. Et nous ne sommes qu’aux prémices d’une mutation de fond dans laquelle les musiques d’ambiance – ou plutôt l’ambiancement en musique – seront un pilier du monde sonore.
La prochaine frontière de cette mutation, c’est la voix. Tous les grands acteurs d’internet se sont déjà positionnés dans ce domaine : Amazon en tête avec Alexa et ses assistants vocaux à poser sur la table de la cuisine, suivi de Google, Apple, Microsoft… L’internet de demain est appelé à disparaître en partie des écrans pour devenir un majordome virtuel personnalisé, mobilisable jour et nuit d’un simple « wesh gros ! » – ou quelque chose d’approchant. Bien entendu, la musique ne sera pas bien loin, elle qui est l’art œcuménique par excellence et fait donc toujours partie du premier wagon envoyé en éclaireur des nouveaux usages. L’an dernier, Amazon a couplé intimement son service de streaming Amazon Music avec son assistant Echo à un tarif réduit, afin de draguer directement le très grand public. Apple, avec son HomePod récemment annoncé, et Spotify, qui travaille en ce moment sur l’intégration de la voix à son service, ne sont pas loin derrière.

Or, la voix sera un nouveau coup d’accélérateur massif pour les musiques d’ambiance. « Ça va radicaliser les usages et amplifier la conso par mood, pense ainsi Guillaume Quelet, de Sony Music France. “Tiens, Alexa, joue-moi une musique un peu soleil ! ” ou “un petit reggae old school”. » Cette consommation exprimée par la voix aura pour effet de minorer les genres musicaux, voire les noms des artistes qui semblent devenir de plus en plus secondaires à mesure qu’ils sont empilés dans des playlists qui s’étendent à l’infini, pour donner enfin aux auditeurs la possibilité de parler de la musique comme ils la ressentent et la pensent.
On l’a vu (lire l’épisode 12, « Le streaming fait des bulles »), très peu d’auditeurs qualifient en effet leur musique à partir d’un lexique technique ou même de termes précis.