Comment comprendre une entreprise comme Spotify, qui ne parle pas si ce n’est pour diffuser des messages médiatiques très contrôlés ? La question traverse toute cette obsession consacrée depuis trois ans à la grande révolution du streaming musical, qui s’est très souvent heurtée au silence de ce nouveau géant qui a capté en dix ans une grande partie de la musique en ligne. Comme Apple, comme Google ou Amazon, Spotify laisse glisser beaucoup de questions dans le grand fossé de l’oubli. C’est embêtant quand on est journaliste, c’est problématique quand on est utilisateur. C’est aussi un défi quand on est une équipe de chercheurs venus de Suède – le pays de naissance de Spotify –, qui rassemble ethnologues, sociologues, économistes et spécialistes de la communication et cherche à comprendre comment ce mastodonte organise ou recommande la musique.
Chercheurs des universités de Stockholm et Umeå, Maria Eriksson, Rasmus Fleischer, Anna Johansson, Pelle Snickars et Patrick Vonderau ont donc entrepris, face à l’absence de collaboration de l’entreprise, de démonter Spotify pièce par pièce. De pratiquer le reverse engineering comme d’autres dépiautent des moteurs ou des téléphones pour comprendre comment ils ont été conçus. C’est l’esprit du titre de leur ouvrage, Spotify Teardown, tout juste paru aux éditions MIT Press mais pas encore traduit de l’anglais : un démontage de Spotify.
Pour dévoiler l’intérieur de la plateforme, l’équipe suédoise a usé de moyens à la limite de la légalité, créant de la musique pour étudier sa circulation, lançant des robots pour écouter en boucle certains titres afin de comparer la recommandation de titres déjà connus et celle des inconnus… Spotify n’a pas apprécié et a mis la pression sur les scientifiques pour qu’ils arrêtent de creuser.