C’est presque un dogme pour les utilisateurs des plateformes de streaming musical, le préalable à toute discussion : celles-ci, à travers les algorithmes de recommandation automatisés, nous enferment dans une écoute confortable, une petite bulle cotonneuse dans laquelle on tournerait en rond au milieu de chansons qui se ressemblent toutes. J’ai pensé la même chose pendant longtemps, avec l’image d’une masse suiviste d’auditeurs coincés dans la musique à la mode livrée sur un plateau par des playlists et des recommandations sans saveur. À la fin, tout le monde finissait par écouter Ed Sheeran et Naps. Puis, ces dernières années, une succession d’études et de rapports sont venus effriter cette vision et dire que les utilisateurs de Spotify, Deezer, Apple Music et compagnie écoutent non seulement plus de musique, mais découvrent aussi davantage d’artistes et de chansons.
C’est cette étude du cabinet américain Nielsen, où 62 % des consommateurs de Spotify estiment que les algorithmes de recommandation sont leur première source de découverte de musique. C’est cette autre de 2020, interne à la plateforme suédoise cette fois, qui dit qu’une « forte diversité de consommation est associée à un usage à long terme » d’un service de streaming. C’est-à-dire que plus on écoute, plus on écoute de choses différentes. Plus récemment, c’est le syndicat des majors du disque qui avance que « 50 % des 16-24 ans », qui sont les premiers utilisateurs des plateformes, « découvrent un nouvel artiste musical au moins une fois par semaine ». Alors je suis parti en quête de la réalité de nos écoutes. Quels auditeurs le streaming a-t-il fait de nous après quinze ans d’existence ? Est-ce que les plateformes nous permettent d’être plus aventureux ? Est-ce que leurs playlists éditoriales et leurs recommandations algorithmiques nous servent, plus qu’elles ne servent une stratégie commerciale chargée de fabriquer des succès rapides ? Est-ce que cette recommandation fonctionne mieux aujourd’hui qu’aux débuts du secteur ?

Ma première piste pour répondre à toutes ces questions, c’est un livre sorti il y a peu, Computing Taste de Nick Seaver, une étude ethnographique sur les ingénieur·e·s qui fabriquent les algorithmes de recommandation musicale. C’est une porte ouverte sur les motivations profondes et les tensions internes des plateformes de streaming à l’heure de l’accès immédiat et infini aux œuvres.