Attablé devant un poisson non loin de la place de la Madeleine, à Paris, Marc Schwartz s’arrête tout d’un coup pour peser ses mots. Puis il se lance avec la voix feutrée des hommes habitués à la diplomatie la plus sensible : Mon premier constat a été que la filière musicale française est assez… divisée. Il lui manque un lieu apaisé pour débattre. Comme il n’existe pas, les oppositions sont exacerbées.
Quelques jours plus tard, un autre acteur de ce secteur où il faut parler off pour dire réellement quelque chose sera moins poli : Schwartz nous a dit
Plus jamais ça
. Cette négo l’a choqué.
Cette « négo », ce sont les deux mois et quelques que ce médiateur, qui en a pourtant vu d’autres, a menés au pas de charge pendant l’été 2015 pour faire aboutir son « protocole Schwartz » – sous-titré par le ministère de la Culture Pour un développement équitable de la musique en ligne
. Il s’agissait d’éviter que les plus petits artistes et les plus petites maisons de disques ne décrochent dans une nouvelle économie de la musique dominée par le streaming (lire l’épisode 1, « Du CD au streaming, courte histoire d’une révolution ») et de moins en moins taillée pour eux. Il s’agissait aussi d’obliger les acteurs de la filière à se parler un peu gentiment pour une fois.
Ces deux mois de tractations politico-économiques sont ainsi un parfait résumé de l’état du monde de la musique en France, un microcosme où se croisent les crispations actuelles autour des revenus du streaming, mais aussi des pratiques obsolètes venues de l’époque du compact disc.
Marc Schwartz, qui a, par le passé, mené la décriée médiation entre la presse et Google, est arrivé vierge dans l’arène de la musique. Il ne connaissait rien de son économie et ne fait pas partie du sérail – contrairement à beaucoup d’autres rapporteurs avant lui. Sa mission était vaste : les artistes reprochent aux producteurs de disques de ne pas tout leur dire sur leurs revenus numériques ; les producteurs reprochent aux plateformes de streaming de ne pas attirer assez de clients ; les plateformes de streaming reprochent aux producteurs de les étrangler avec des droits d’accès à leur musique trop élevés. S’ajoutaient aussi, en filigrane, des clauses abusives qui apparaissent encore parfois dans les contrats qui lient les artistes et les producteurs et, enfin, la nécessité de réconcilier artistes et producteurs après le divorce des années Hadopi.
Pour les labels indépendants, la question du partage de la valeur dans le streaming, c’est : “Est-ce que je serai vivant dans cinq ans, le temps que le numérique soit devenu un marché à part entière ?”
Tout le monde voulait passer à autre chose. C’est pénible de vivre dans ce climat de suspicion
, résume aujourd’hui Vincent Frèrebeau, le fondateur du label Tôt ou Tard, l’une des réussites indépendantes françaises de ces deux dernières décennies, qui est également président de l’Union des producteurs Indépendants (UPFI).