Ce n’est pas une blague. L’avocat d’Antoine Deltour était aussi administrateur de sociétés offshore. Au procès LuxLeaks, Me Philippe Penning, le défenseur du lanceur d’alerte, avait bataillé contre l’opacité de PricewaterhouseCoopers (PwC), l’ex-employeur de Deltour. Mais, avec ses associés (notamment son père, Jim), Philippe Penning était un utilisateur régulier du cabinet d’avocats panaméen Mossack Fonseca et enregistrait, au nom de ses clients, des sociétés-écrans aux îles Vierges ou aux Bahamas.
L’information, révélée par Le Monde, a fait sourire au Luxembourg – l’arroseur arrosé
, pouvait-on lire sur un forum –, mais n’a pas surpris grand monde. Être un prête-nom, ou domicilier une société-écran afin d’aider des riches particuliers ou des multinationales à ne pas payer d’impôts, est un métier tout ce qu’il y a de plus officiel au Grand-Duché. C’est même une industrie. Mais à l’heure où le Luxembourg dit être devenu transparent, le business de l’opacité ne veut toujours pas se dévoiler. Le Luxembourg est une cible de la presse internationale, et surtout de la presse française. Nous sommes donc très prudents avant de nous entretenir avec des journalistes étrangers
, nous a déclaré le dirigeant d’une entreprise de domiciliation qui, à l’image de nombre de ses confrères, a refusé de nous parler de son métier. Tant pis. Pour poursuivre notre voyage au pays de la grande évasion, nous avons juste pris des chemins de traverse : en allant fouiller dans le Mémorial, le Journal officiel du Luxembourg, ou en déambulant dans la ville.
L’industrie des prête-noms, c’est d’abord une présence physique dans la ville de Luxembourg. Où que l’on se promène, le regard est attiré par des boîtes aux lettres qui débordent de noms de sociétés (lire l’épisode 1, « Un tour au paradis »). Pour savoir ce qu’il y a derrière, nous avons choisi de nous concentrer sur un cabinet de domiciliation. Nous en avons pris un complètement au hasard, sur le boulevard Joseph II, une artère circulaire dans l’est de la ville dotée de villas plutôt chics. Alors que nous étions près de l’ambassade de France, au niveau du numéro 11, notre œil a été attiré par un écriteau défraîchi, accroché à un immeuble qui aurait mérité un bon ravalement. Était inscrit dessus « Polygram », du nom du label discographique qui ornait les 45 tours d’antan. Dessous, le nom d’une société intitulée « Ecca », avec la mention : « Fiduciaire & family office ».