David Fatta déboule dans la salle commune au son d’un retentissant Let’s go !
Il est 8 h 20, l’heure du « brief » que le directeur anime chaque matin pour entamer la journée par un moment convivial
. Le Pôle emploi de Montargis se trouve au bout de la rue des Déportés-de-la-Résistance, une départementale sans fin, succession de maisons en pierre et de rares commerces. L’agence, flambant neuve, détonne. Blanche et imitation bois, elle est coiffée d’un large chapeau soutenu par quatre poutres métalliques. Au rez-de-chaussée, les portes de l’accueil n’ouvriront au public que vingt-cinq minutes plus tard. Mais à l’étage, les conseillers préparent la journée en coulisses.
Au cri de ralliement du directeur, une vingtaine d’entre eux quittent la file de la machine à café pour rejoindre des tables alignées en arc de cercle. Certains se réchauffent les mains sur leurs tasses, l’air ensommeillé. D’autres, studieux, prennent des notes. Les visages sont jeunes, à dominante féminine. Les discussions cessent. Au-dessus des têtes, épinglés au mur, faire-parts, tracts syndicaux et coupures de presse. Vacances de printemps obligent, l’équipe tourne ce jour-là en effectif réduit. L’agence compte 70 salariés pour 11 975 demandeurs d’emploi. C’est la plus importante du Loiret et de la région Centre-Val de Loire. Celle où Les Jours vont faire escale pour raconter La vie Pôle emploi.

Dans les guides touristiques, avec ses rues pavées et ses maisons à colombages, Montargis montre le visage coquet de la « Venise du Gâtinais », la « ville aux 131 ponts ». Sur les 95 communes que couvre Pôle emploi, pourtant, plus de 13 % des habitants sont au chômage, soit trois points de plus que la moyenne nationale. C’est la direction de Pôle emploi qui a proposé cette agence quand Les Jours l’ont contactée pour préparer une obsession sur le chômage. Un projet né d’une frustration. Au café, à la télé, à l’Assemblée, le sujet est sur toutes les lèvres. Les médias guettent chaque fin de mois, à 18 heures, les chiffres des inscrits. Baisseront, baisseront pas, d’ici à 2017 ? La courbe s’inversera-t-elle à temps pour offrir à François Hollande son ticket pour la présidentielle ? Cette lecture politico-macro-économique raconte peu de choses du réel. Elle ne dit pas qu’au chômage on perd plus qu’un travail. Elle oublie que beaucoup ne quittent Pôle emploi que pour la précarité de petits boulots sous-qualifiés. Elle encourage les politiques à promettre des formules magiques. Et elle renvoie du service public de l’emploi une image d’impuissance. Auprès des demandeurs d’emploi, des conseillers, des patrons… Nous voulons raconter la complexité du chômage, les blocages, mais aussi les petites victoires.
À Montargis, la réunion matinale débute toujours par l’annonce du planning. En entretien de situation : Isabelle, Aude, Marie-France. En atelier formation : Alice, Cathy…
, égrainent David Fatta et quatre autres membres de l’« ELD », l’équipe locale de direction, qui fait corps autour d’une table ronde. Michel-André Chasseing, le directeur adjoint, a encore sa veste en cuir sur le dos. À sa gauche, Isabelle Rouby, ancienne commerciale, cheffe de l’équipe chargée de démarcher les entreprises.

Face à eux, la plupart des conseillers se consacre à l’accompagnement des DE
, les demandeurs d’emploi, comme Régis Millet, chargé de l’accueil pour la matinée. Un autre groupe est expert des allocations. La création de Pôle emploi devait donner naissance à un métier unique, un super-conseiller chargé de placer et d’indemniser. Deux tâches, deux cultures. D’un côté, l’accompagnement quasi social de personnes en difficulté ; de l’autre, la comptabilité de haute voltige. L’amalgame n’a pas pris. Pôle emploi respécialise peu à peu ceux qui le souhaitent.
C’est maintenant au tour des conseillers Entreprises de prendre la parole pour partager les dernières offres glanées. Faurecia prépare une réunion d’information sur ses recrutements
, annonce un conseiller. Bonne nouvelle. Cette filiale de PSA qui fabrique des équipements pour voitures possède une usine à Nogent-sur-Vernisson, à 18 kilomètres de Montargis. Le groupe fait partie de ces sous-traitants automobiles qui ont dessiné le passé industriel florissant de l’agglomération. Comme l’historique Hutchinson, présent depuis le milieu du XIXe siècle. Dans les années 1920, ce spécialiste du caoutchouc importait à Montargis de la main-d’œuvre de Chine. Depuis, l’état de santé des équipementiers varie selon la forme de l’industrie auto. Prospères pendant les Trente Glorieuses, ils ont chancelé après le premier choc pétrolier, repris des couleurs à la fin du XXe siècle et connu un nouveau coup d’arrêt après 2008. La crise a laissé ici de profondes cicatrices. On a perdu autour de 1 500 postes salariés en à peine dix ans, calcule David Fatta. Les dégraissages ont expédié au chômage des ouvriers qui répétaient les mêmes gestes depuis des décennies. Il leur faut tout réapprendre, parfois même à lire et à écrire.

Peu qualifiés et au chômage de longue durée, ils sont à l’image des usagers de l’agence. Ceux que David Fatta appelle sa demande d’emploi
, pour qualifier la problématique principale de l’agence. Près de la moitié des inscrits cherchent du travail depuis plus d’un an. Les deux tiers n’ont pas le bac. À Montargis, de toute façon, on forme des BTS, mais pas au-delà. Nos jeunes qui souhaitent faire des études partent à Orléans ou à Paris et ne reviennent pas
, regrette le directeur. C’est un cercle vicieux, car il devient de plus en plus difficile d’attirer les entreprises à la recherche de candidats très qualifiés. Montargis et ses voisines se font la guerre : l’Île-de-France, bien sûr, à une heure de là, mais aussi Orléans, Pithiviers, Auxerre, Nemours, Nevers… À la frontière de l’Yonne et de la Seine-et-Marne, rien n’est loin, mais rien n’est vraiment proche non plus. Ces villes-sœurs communiquent mal. Circuler sans voiture ? Impensable. Il faut plus de trois heures de train et une escale à Paris pour se rendre à Orléans ou à Auxerre, à moins de 80 kilomètres.
Et la gendarmerie recrute toujours, pensez-y pour vos jeunes.
À la cafétéria de Pôle emploi, le service Entreprises finit de dérouler les annonces du jour. Une association d’insertion cherche un jardinier pour quelques heures. On demande aussi une auxiliaire de vie pour un CDD à 35 heures. Les services à la personne, la restauration, la vente, la manutention, l’agriculture… voilà les secteurs qui embauchent, à durée déterminée. N’oubliez pas de placer vos demandeurs d’emploi sur ces offres
, lance David Fatta. Et la gendarmerie recrute toujours, pensez-y pour vos jeunes
, glisse une voix au fond de la salle.
Il est 8 h 35, plus que dix minutes avant l’arrivée du public. Le « brief » s’achève. David Fatta souhaite à tous une excellente journée
». Les conseillers se lèvent en direction du rez-de-chaussée. C’est là que se trouvent les bureaux destinés aux entretiens, ainsi que le hall d’accueil encore plongé dans le calme. Des pas commencent à crisser sur le lino. Trois conseillers prennent place derrière les guichets. L’un d’eux se dirige vers l’entrée pour déverrouiller les portes. Derrière les larges baies vitrées, une douzaine de demandeurs d’emploi sont en train de patienter.