Depuis l’assassinat de Cécile Bloch, 11 ans, violée et étranglée le 5 mai 1986 dans un sous-sol du XIXe arrondissement de Paris (lire l’épisode 1 de la saison 1, « “Fillette, Bloch Cécile, 11 ans” »), la brigade criminelle de Paris, la crim’, recherche un homme à la peau grêlée, selon un portrait-robot établi par des témoins qui ont croisé le suspect numéro 1. Après le viol d’une enfant de 8 ans qui, comme Cécile Bloch, a été ligotée (lire l’épisode 3 de la saison 1, « Le Grêlé a encore frappé »), l’inspecteur Bernard Pasqualini se fait une conviction : il s’agit d’un criminel en série.
À l’automne 1987, au quatrième étage du 12 quai de Gesvres, dans le IVe arrondissement de Paris, dévolu à la brigade de protection des mineurs, l’inspectrice principale Annie Peaudeau prend à bras-le-corps une enquête sur le viol d’une adolescente par un type qui se dit « POLICIER », comme elle l’écrira en majuscules dans son rapport de synthèse, le 17 décembre 1987. Tout commence par le récit de Marianne N., 14 ans, qui, après sa plainte à la 6e division de police judiciaire (DPJ) de son quartier, puis son audition par un collègue dubitatif, lui raconte longuement ce qui lui est arrivé.
Le mardi 27 octobre 1987, à midi, l’adolescente sort de son lycée porte de Vanves, prend le métro, descend à la station Plaisance, puis rentre à pied chez elle, dans le XIVe arrondissement de Paris, pour déjeuner. Elle marche seule dix minutes, jusqu’au 9 rue Boulitte où elle habite. Elle ne s’aperçoit pas qu’un inconnu la suit dans les rues. « Ou plutôt, je n’ai pas fait attention », dit-elle. Un voisin pianote le code d’accès et lui tient la porte. C’est alors que « ce beau jeune homme » surgi de nulle part lui emboîte le pas dans la résidence et s’engouffre avec elle dans l’ascenseur. « À quel étage allez-vous ? », s’enquiert-il avec déférence. Il appuie sur le bouton du quatrième. La jeune Brésilienne se dit « flattée » qu’un type aussi charmant « s’intéresse à elle ». Il a « l’air naturel », elle n’a « pas peur ».
« Police ! Vous avez une pièce d’identité ?
Mais durant la montée, l’homme change de ton. Il exhibe une « carte avec trois rayures bleu-blanc-rouge » qu’il range illico dans la poche intérieure gauche de son « blouson en tissu de couleur kaki » et lui lance : « Police ! Vous avez une pièce d’identité ? » Marianne ne l’a pas sur elle. Le flic la réprimande : « Mais vous savez qu’il en faut toujours une sur soi ? » Elle lui propose de l’accompagner chez elle pour la chercher. Sur le palier du quatrième, il lui demande le numéro de téléphone de ses parents. « Mais ma mère n’est pas là », rétorque Marianne qui ouvre et entre. Le policier la suit, referme la porte et lui dit : « Bon, maintenant, trouvez-moi votre pièce d’identité. » Il évoque « des collègues qui l’attendent en bas et, pour ne pas être ridicule », il lui faut « absolument un nom ». Elle fouille dans la chambre de sa mère, en vain, et le rejoint dans le salon. Il prétexte une enquête sur un trafic de came : « Je cherche une fille qui correspond à votre signalement qui se prostitue et se drogue. » Il pratique une sorte de palpation de sécurité et examine ses bras pour voir si elle se pique.
Ce « policier » la bombarde de questions sur sa situation familiale. Sa mère, médecin, est partie à un colloque ; il se renseigne sur la date de son retour. L’adolescente lui assure qu’elle reste seule toute la semaine mais que ce n’est pas grave car elle est grande et se débrouille bien. En cas de souci, elle peut appeler le compagnon de sa mère. Le policier l’interroge alors sur le « beau-père », exige le nom et le numéro qu’il note dans un calepin. Il s’énerve quand Marianne lui remet une photocopie de sa carte d’identité : ça ne suffit pas, il veut l’original. Et puis la photo n’est pas bonne. Il recopie les éléments sur son carnet et la renvoie chercher mieux. Pendant ce temps, il feint d’appeler un collègue avec son talkie-walkie pour vérifier l’état civil de la jeune fille qu’il énonce avant d’ajouter « toute une série de prénoms : Vincent, Charlotte, etc. ». Ce qui étonne Marianne. « Vous n’êtes pas sans ignorer que dans le XIVe, il y a des bandes », la tacle le policier. Elle finit par retrouver son passeport brésilien, qu’elle lui tend. Mais ça ne lui convient toujours pas : « Je veux une pièce d’identité française, je ne vais pas aller vérifier au Brésil, moi ! En plus, mon collègue m’a dit de me méfier parce que vous êtes étrangère. »
Toujours en quête de ses papiers, Marianne retourne dans la chambre à coucher de sa mère. L’homme la suit. Soudain, il « sort une arme d’une pochette en cuir noir qu’il porte en bandoulière sous son blouson » et la braque dans sa direction : « Bon, moi maintenant, je vais vous aider à réfléchir. » Il l’oblige à se coucher à plat ventre sur le lit. Il lui ligote les pieds et les mains avec des rallonges électriques qu’il récupère dans l’appartement et lui ordonne « de ne pas crier, car ça le panique ! »
Finalement, l’intrus annonce qu’il n’est « pas policier » : « Je suis là pour un cambriolage. » Il range son arme noire de 25 à 30 cm dans le holster. « C’est un pistolet d’alarme », lui dit-il avec un sourire en coin. Il attrape « dans sa pochette en cuir » une seconde arme, « sort le chargeur de la crosse, met des balles » et la met en joue pour savoir « où sont cachés l’argent et les bijoux ». Marianne lui indique. Il part les rafler. Il met le salon sens dessus dessous. Il revient avec un autre fil électrique et attache cette fois les chevilles de l’adolescente au montant d’un meuble. Il saisit un coupe-papier et lui pose sous la gorge pour qu’elle lui donne bien tout. Il brandit toujours sa lame : « Attention, je sais me servir de ça ! » Il n’hésitera pas à l’utiliser, lui-dit-il, mais elle n’a pas à avoir peur si elle coopère : « J’ai fait neuf mois de prison, j’ai fait une fuite et je ne tiens pas à y retourner. Je ne vais pas te tuer. D’ailleurs, mes empreintes sont partout et comme je suis fiché, on me retrouverait trop facilement. » Il attrape sous son blouson un « grand sac en tissu noir, avec plein de poches sur les côtés et aucune inscription dessus » et s’en va le remplir dans le salon. L’homme enfourne la platine, le magnétoscope, le lecteur de CD et quatorze disques : Barbara, Touré Kunda, les Beatles, Julian Bream, deux CD de guitare, un concerto de Mendelssohn, un opéra du compositeur Bedřich Smetana, une symphonie d’Haydn, Flûte à bec, luth & guitare par René Clemencic, des œuvres de Bach et de Vivaldi, le Requiem de Mozart, etc.
Puis le voleur retourne dans la chambre, détache Marianne
Accompagnée de son beau-père, Marianne se rend dès 16 heures à la 6e DPJ où elle porte plainte, puis à l’Hôtel-Dieu pour des prélèvements vaginaux. Outre le sperme sur l’adolescente, d’autres indices matériels sont préservés : la couette souillée et une trace digitale sur une boîte à bijoux que l’agresseur a manipulée. Le procureur de la République confie les investigations pour « vol à main armée suivi de viol » à la brigade de protection des mineures. C’est donc l’inspectrice Peaudeau qui procède à cette nouvelle audition de Marianne, le 29 octobre 1987. L’adolescente lui décrit un homme « grand, 1,80 mètre, type européen, mince mais athlétique au niveau des épaules, 30 ans, les cheveux bruns courts avec une petite mèche sur le front qui tombe sur le côté droit, les traits assez fins, pas de barbe ni de moustache, il était rasé, il faisait propre ». Questionnée sur sa peau, Marianne répond : « Il n’avait pas de boutons. » « Il avait des mains de travailleur manuel, rugueuses, très longues avec de gros doigts. » Outre sa saharienne kaki, « comme les militaires », le violeur porte « un gros pull de laine gris avec col en V, une chemise blanche tachetée de points gris, un jean moulant bleu, des baskets Nike bleues, une pochette en bandoulière et une ceinture avec plusieurs poches en tissu noir à fermetures Éclair ».
Ayant eu le temps de le dévisager durant les cinquante minutes qu’a duré son agression, Marianne accepte de se rendre avec sa mère au service de l’Identité judiciaire, quai de l’Horloge, dans le Ier arrondissement, pour élaborer à son tour un portrait-robot du suspect : « les yeux marron cernés et enfoncés dans les orbites », le menton très allongé, les oreilles légèrement décollées, le nez fin mais avec le bout rond, les « joues plates » et la peau « normale »… Rien à voir en apparence avec le visage de premier communiant boutonneux dessiné dix-huit mois plus tôt par Luc Richard-Bloch, le frère de la petite Cécile Bloch, assassinée rue Petit, dans le XIXe arrondissement. D’ailleurs, ni Annie Peaudeau ni l’inspecteur de la crim’ Bernard Pasqualini, qui enquête sur le meurtre, ne supposent à ce stade que les deux affaires ont un quelconque rapport.
Expérimentée et intuitive, Annie Peaudeau, 37 ans, fut en 1975 l’une des premières femmes armées à entrer à la brigade de protection des mineurs, dite « brigade biberon » ou « B.B. », et à oser parler à un homme de la « section masculine »
Plusieurs choses l’intriguent cependant dans le comportement de cet agresseur sacrément gonflé. Il séquestre Marianne et reste sur place durant près d’une heure. D’habitude, les pédocriminels abonnés du service « font vite leur affaire et puis s’en vont ». Celui-ci prend son temps et ses aises, et affiche une certaine « détermination ». Ce mélange de violence et de maîtrise, d’énervement et d’attentions à l’égard de la victime la turlupine : « Je suis frappée par ce geste à la fin, comme le papa qui recouvre son enfant avec une couette pour ne pas qu’il ait froid. » Et puis, la panoplie de ce policier la questionne. Elle recherche dans les fichiers manuels et les archives de différents services « des individus déjà connus pour des faits similaires, ou dont le mode opératoire est le même ». C’est ainsi qu’elle tombe sur le « vol à main armée et le viol » d’une jeune Allemande, cinq mois et demi avant celui de Marianne, dans le même XIVe arrondissement. Elle étudie donc le procès-verbal d’audition d’Andrea S., 26 ans, par ses collègues de la 6e division de PJ.
Le lundi 11 mai 1987, vers 10 heures, l’étudiante en architecture fait ses comptes chez elle, au 5 villa Cœur-de-Vey, quand elle entend le grésillement d’un appareil sur le palier et une voix masculine qui interroge : « Mais votre voisine n’est pas là ? » À cet instant, l’homme sonne puis frappe à sa porte. la jeune femme lui ouvre. Il lui tend d’une main une carte de police et tient dans l’autre un talkie-walkie. Ce policier prétend agir à cause de la plainte d’un résident contre Andrea pour « tapage ». Sans douter un instant de sa profession, elle conteste le bruit : « Cela m’étonne car je viens juste de mettre la radio », mais en sourdine. Il rétorque avec aplomb que ce n’est pas la première fois et lui demande à deux reprises s’il y a quelqu’un d’autre chez elle. Elle répond : « Non, je suis seule. » Alors, il la bouscule à l’intérieur et referme la porte. Face à ce geste inattendu et étrange de la part d’un policier, elle prend peur. L’intrus le sent et la rassure, il déverse des flots de paroles. Ce « petit jeu » dure longtemps. Il veut contrôler son identité. Elle lui remet son passeport. Il énonce dans son appareil son nom, son prénom, sa date et son lieu de naissance : Hambourg, en Allemagne. Il fait le tour de sa chambre, voit les carnets de comptes, s’enquiert de ses finances. A-t-elle des problèmes d’argent ? Il bavarde encore cinq minutes. Il commence à composer un numéro sur le cadran du téléphone. Il s’interrompt brutalement. Changement de ton et d’attitude. Il sort un pistolet de sa poche et le pointe sur Andrea. Il lui fait mettre les mains sur la tête, la saisit par l’épaule et la pousse dans la chambre. Il tire les rideaux. Il l’oblige à s’asseoir. Il fouille dans l’armoire, s’empare d’une ceinture et lui attache les poignets dans le dos. Il lui annonce alors : « Je ne suis pas de la police, je suis venu pour l’argent. » Il exige les « objets de valeur ». Elle lui indique les endroits où elle range ses billets et ses bijoux. Il prend 610 deutsche marks, un porte-monnaie de pièces étrangères, sa carte bleue de la BNP, sa montre et ses bagues. Il rafle aussi celle en or blanc avec un cygne à 3 000 francs et le collier en or jaune qu’elle porte. Il s’empare d’un cutter posé sur sa table à dessin et lui extorque son code de carte bancaire.
Puis il s’assied à côté d’elle, exige qu’elle se dénude. Elle essaie de « le raisonner », mais il se lève d’un bond, attrape une autre ceinture et la lui enroule autour du cou. Elle le supplie de ne pas l’étrangler. Il la culpabilise, lui dit que c’est de sa faute s’il la ligote comme ça, que c’est pour l’empêcher de crier. Il tient toujours son pistolet noir d’une main. Andrea promet de se taire et se déshabille. Il la caresse, la complimente sur son physique et tire parfois la ceinture pour « montrer qu’il peut à tout moment la serrer très fort ». Elle tente de négocier car il lui fait trop mal : « Vous n’aurez pas de plaisir à faire l’amour avec une femme qui pleure. » Mais il ne l’écoute pas. Il déboutonne son pantalon, exige une fellation, qu’elle refuse. Il la viole. Elle a si mal qu’elle se jette sur le côté. Il recommence jusqu’à l’éjaculation. Elle veut savoir s’il est marié. Il répond : « J’étais. Je sors de prison. » Sous-entendu, la séparation découle de son séjour en taule. Il cherche d’autres ceintures dans le placard. Elle lui demande s’il va la tuer. Il sourit. Il l’autorise à se rhabiller, lui attache les pieds à sa table à dessin, les mains dans le dos, lui fourre un foulard dans la bouche et un autre par-dessus, noué autour de sa tête. Il embarque ses clés d’appartement, allume la radio à fond et, avant de sortir, lui lance : « Je vais vérifier ta carte, et si elle n’est pas juste, je reviens. »
Andrea parvient à se dégager de ses liens, assez lâches, et court chez son voisin qui appelle la police, officielle cette fois. Divers objets sont placés sous scellés, des traces de sperme du violeur sont relevées, mais, hélas, ne seront pas bien conservées. Les enquêteurs de la 6e division de PJ apprennent à l’étudiante allemande que 1 800 francs ont été retirés dans un distributeur du quartier de Montparnasse, avant que sa carte ne soit avalée lors d’une seconde tentative. La jeune femme dépeint un homme français, âgé de 27-28 ans, grand, 1,80 mètre, corpulence moyenne, aux « cheveux très courts brun foncé, une coupe comme les militaires »… Elle ajoute : « Il avait la peau lisse sans boutons, bien soigné. » Il était vêtu d’un blouson de cuir gris clair, d’une chemise blanche à fines rayures rouges et d’un jean. Il était chaussé de « tennis américaines grises à semelles compensées avec du cuir au bout ». Autour de sa taille, « une large ceinture bleu marine, avec des poches rectangulaires en plastique sur le côté », comme on peut en utiliser en montagne.
Tu vas voir, je vais te faire subir ce qu’on m’a fait en prison !
Malgré la différence d’âge entre Marianne, 14 ans, et Andrea, 26 ans, les ressemblances dans le mode opératoire et la description du « policier » sont telles que l’inspectrice Peaudeau convoque à la brigade des mineurs la jeune Allemande et lui présente le portrait-robot dessiné par la collégienne. L’étudiante reconnaît celui qui l’a violée : « Il ressemble effectivement à mon agresseur. Il a la même forme du visage, le même regard. Si j’avais eu à faire un portrait-robot, il aurait été très approchant de celui-ci. » Convaincue qu’il s’agit du même homme, l’enquêtrice poursuit ses recherches. Au service des synthèses criminelles de l’état-major de la police judiciaire, elle déniche un « vol à main armée »
Le mercredi 2 septembre 1987, vers 11 h 30, Sylvia P., 24 ans, qui habite au 4 rue Plichon, dans le XIe arrondissement de Paris, reçoit la visite d’un acheteur intéressé par les meubles qu’elle vend
Gênée par le bâillon qui l’étouffe, Sylvia le supplie du regard. Il lui promet de ne pas tirer si elle ne crie pas et le lui enlève. Elle « joue l’empathie » avec lui sur les traitements inhumains en détention
À ses yeux, l’inconnu doit mesurer 1,80 mètre, large carrure, 30 ans mais peut-être plus jeune car son visage est « marqué par les épreuves de la vie », en jean, blouson et « ceinture de cuir noire avec deux pochettes sur le devant ». Quand un enquêteur de la brigade des mineurs lui montrera le portrait-robot de l’agresseur de Marianne, Sylvia P. reconnaîtra en partie le sien : « même morphologie du haut du visage, même regard sévère », mais pas la même bouche. L’enseignante a clairement vu des lèvres fines et droites comme un trait, mais la supérieure est bien découpée comme un V au milieu.
Dans sa synthèse, Annie Peaudeau signale un autre cas traité en parallèle à la brigade, « des faits d’attentats à la pudeur sur mineur de moins de 15 ans, qui se sont déroulés le 1er avril 1987, au domicile du jeune Cyril D., 14 ans, 2 bis impasse Morlet à Paris XIe ». Il n’est pas indiqué qu’une enfant de 11 ans a, elle aussi, été agressée sexuellement chez Cyril, mais l’inspectrice souligne que « le signalement de l’individu présente des similitudes avec celui de l’agresseur de Marianne N. ». De plus, cet homme a également « ligoté ses victimes », a fait valoir la profession de policier et portait « une arme dans un holster ». L’inspectrice ne s’attarde pas sur cette affaire dont s’occupe déjà un autre groupe opérationnel, qui travaille sur commission rogatoire du juge d’instruction Michel Ajasse. Elle prend soin d’annexer à sa procédure la circulaire de recherche avec portrait-robot du délinquant sexuel qui a sévi chez Cyril D. mais ne juge pas nécessaire d’entendre à nouveau ce garçon ni de lui montrer le croquis du violeur de Marianne
Concentrée sur les trois jeunes filles, l’autrice de la synthèse émet son hypothèse. « À ce stade de l’enquête, il est permis de supposer que l’agresseur de Marianne N. peut également être l’agresseur d’Andrea S. et de Sylvia P. », écrit-elle en soulignant les mots importants. « Les trois victimes sont étudiantes ou enseignantes ; les trois ont été ligotées ; les agressions ont eu lieu le matin, entre 11 et 13 heures ; dans les trois cas, l’agresseur était porteur d’une arme et d’une grosse ceinture à pochettes, et il y a eu vol ; aux deux victimes de viol, l’auteur fait état de la qualité de policier et présente une carte “tricolore”. »
Devenue cheffe d’un groupe opérationnel, Annie Peaudeau mobilise tous ses gars pour retrouver le violeur qui endosse le métier de flic afin de soumettre ses victimes. Toutes les fiches cartonnées des « individus déjà connus en France pour usage de la fausse qualité de policier », regroupées au centre de rapprochement judiciaire de la gendarmerie de Rosny-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis, sont explorées une à une. Sans permettre de retrouver des faits similaires. Néanmoins, les gendarmes prêtent à la brigade des mineurs un album photographique de tous ces hommes ayant déjà usé ou abusé de la profession. Et il y en a des paquets. Les voleurs, braqueurs et agresseurs qui agissent « par ruse », en prétextant être policier pour s’introduire dans les lieux, sont légion. Comme les faux plombiers, les faux facteurs, les faux employés du gaz ou de l’EDF… D’ailleurs, la « brigade biberon » piste alors un pédocriminel qui se fait passer pour un électricien dans l’Ouest parisien. Dans les halls d’immeuble ou les couloirs, il demande de l’aide aux petites filles pour changer une ampoule et en profite pour les agresser et parfois les violer par pénétration digitale. D’autres approchent les enfants en flic : « Il y a toujours eu des faux policiers, on a plein d’affaires de ce type car les enfants ont peur de la police et obéissent », témoigne l’inspectrice Peaudeau.
Mais là, dans le cas du violeur de Marianne et d’Andrea, la panoplie de membre des forces de l’ordre lui paraît bien trop complète pour un faux policier. D’ordinaire, les pédocriminels
Il est apparu que les recherches demanderaient un travail considérable et aléatoire, vu le peu d’éléments en notre possession.
Pour en avoir le cœur net, la cheffe de groupe se renseigne auprès de l’Inspection générale des services (IGS), la police des polices parisiennes, sur les fonctionnaires révoqués. Et auprès du service de recrutement, qui mène les enquêtes de moralité sur les candidats admis aux épreuves écrites. Mais on lui rit presqu’au nez quand elle expose l’objet de sa quête : un flic d’1,80 mètre, mince et athlétique, aux cheveux bruns courts et aux yeux marron, en tenue sportive, blouson de cuir, jean bleu, baskets Nike et ceinture à poches. Autant dire un profil passe-partout au sein de la profession. Elle-même mariée à un policier de la brigade antigang, elle en sait quelque chose… L’inspectrice consigne donc piteusement le résultat négatif de ces investigations dans sa synthèse : « Il est apparu que les recherches demanderaient un travail considérable et aléatoire, vu le peu d’éléments en notre possession. »
Même échec du côté du fichier des prisons de la préfecture de police de Paris qui répertorie les entrées et les sorties de détenus des maisons d’arrêt d’Île-de-France. En effet, le 2 septembre 1987 puis le 27 octobre, l’agresseur a dit à ses victimes sortir de prison et a précisé qu’il avait été enfermé neuf mois. Difficile à croire puisque Andrea S. a été violée, a priori par le même homme, le 11 mai précédent. Néanmoins, la policière cherche à savoir si ce gars-là n’a pas été incarcéré pour des délits sexuels ou des vols entre la mi-mai et la fin août, ou bien sur une plus longue période auparavant. Les motifs de condamnation, les mentions d’état civil et la durée de la peine figurent sur les « fiches de sorties » des détenus ; c’est intéressant pour son enquête. Mais son enthousiasme se dégonfle rapidement quand elle voit les milliers de bristols à petits carreaux qui s’amoncellent aux archives du 36 quai des Orfèvres. On lui apprend que « chaque jour, en moyenne, 200 personnes sont soit transférées, soit libérées des prisons de Fresnes, de la Santé et de Fleury-Mérogis ». Impossible « matériellement de procéder à l’examen de chaque fiche », conclut l’inspectrice Peaudeau, vaincue.