De Grenoble
La sonnerie ne retentit pas. Ce 3 septembre, seules les classes de première générale font leur prérentrée au lycée Emmanuel-Mounier de Grenoble. Des grappes d’élèves s’agglutinent devant l’entrée, sur l’avenue Marcelin-Berthelot qui relie le centre-ville ancien aux cités des quartiers sud de la capitale des Alpes. Sur le trottoir, le nouveau proviseur, Joseph Sergi, donne le signal : « Allez, c’est l’heure, on y va, sans les écouteurs et la casquette, c’est mieux messieurs ! », houspille-t-il, affable. « Bonjour jeune homme, comme on se retrouve ! », lance-t-il à un garçon qui retire vite fait son couvre-chef.
Joseph Sergi était auparavant principal du collège Lucie-Aubrac de La Villeneuve, classé REP+. C’est l’un des trois établissements qui fournit ses effectifs au lycée Mounier, avec le collège Olympique (en REP) et le collège Charles-Münch, réputé pour ses classes à horaires aménagés permettant aux jeunes musiciens et danseurs de suivre en parallèle un cursus au conservatoire de la ville. À cette population « de secteur » s’ajoute l’arrivée en seconde d’un tiers d’élèves venant de l’extérieur, d’autres zones de la métropole grenobloise et parfois de la campagne environnante.
Pour cette rentrée, Mounier accueille 580 élèves, dont 107 en première générale. Ce sont eux qui expérimentent la réforme du baccalauréat voulue par le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer. Le vieux « bachot » napoléonien fête cette année ses 210 ans. Malgré ses liftings successifs, la vénérable institution demeure ce passeport pour les études supérieures, ce rite de passage vers l’âge adulte, ou presque.
L’annonce de sa nouvelle formule, dont seront diplômés les premiers élèves en 2021, a suscité au printemps dernier une grève inédite des profs correcteurs du bac. Elle refond les enseignements dès la classe de première, pour « donner plus de choix aux lycéens et leur permettre d’approfondir davantage », avec « moins de bachotage dans le futur et plus de travail en continu », a expliqué Jean-Michel Blanquer sur France Info le 2 septembre. Elle reste une gageure pour les équipes enseignantes en cette rentrée 2019-2020.
Au lycée Mounier, il est bientôt 9 heures, ce 3 septembre, et Joseph Sergi attaque sa « tournée des popotes », dit-il, ajustant la veste de son costume impeccable. Direction la salle 201, où s’est installée la 1ère G4. Les chaises raclent l’antique carrelage, les 22 élèves se lèvent d’un bloc à son entrée. Un grand tableau blanc, des murs beiges parés de la déclaration des droits de l’homme, de la charte de la laïcité à l’école, des règles du « bon usage du numérique » et d’une affichette rappelant l’interdiction des portables en cours. Il fait chaud, on entend par les fenêtres ouvertes le tram qui tinte le long de l’avenue. Presque autant de garçons que de filles, des regards las, d’autres plus perçants, des sacs
C’est cette classe que Les Jours ont décidé de suivre pendant deux ans, d’accompagner jusqu’à ce fameux moment, fatidique ou euphorique, que personne n’a oublié. Celui où l’on se bouscule en espérant trouver son nom au bon endroit sur de longues listes austères, pour enfin savoir si on l’a, ou pas, ou presque. C’est aux côtés de la 1ère G4 qu’on va vous raconter de semaine en semaine ce nouveau bac, enjeu politique d’un quinquennat disruptif
Vous êtes en première générale, ce n’est pas l’année où il faut faiblir, nous sommes là pour vous conseiller, n’oubliez pas que pour Parcoursup, ce sont les notes de première qui comptent, ne ratez pas votre première, sinon vous aurez moins de chances de choisir.
Salle 201. Voix de stentor, pieds plantés sur l’estrade, M. Sergi commence son speech : « Vous êtes en première générale, ce n’est pas l’année où il faut faiblir, nous sommes là pour vous conseiller, n’oubliez pas que pour Parcoursup, ce sont les notes de première qui comptent, ne ratez pas votre première, sinon vous aurez moins de chances de choisir. Ne négligez aucune discipline, vous avez passé le cap de la seconde, ne faiblissez pas », insiste-t-il. « J’ajoute... J’ajoute toujours des dernières choses, hein », fait-il, pince-sans-rire : « Vous êtes une classe, je veux que vous soyez une classe, je ne vous demande pas d’être amis mais d’être camarades, personne ne doit rester tout seul, c’est ensemble que tous auront la meilleure réussite. » Silence. « Vous êtes contents d’être là ? » Quelques demi-sourires affleurent.
Après son départ, le prof principal de la 1ère G4, Dominique Trelat, qui enseigne l’éducation physique, s’attaque au planning. Il distribue des emplois du temps nominatifs, puisque la réforme du bac enterre le trinôme des séries générales (L pour littéraire, ES pour économique et social, et S pour scientifique) en vigueur depuis 1995. À la place, les élèves doivent désormais sélectionner trois enseignements de spécialité, parmi une liste de douze possibilités (huit à Mounier
Selon les chiffres du ministère de l’Éducation, 47,7 % des élèves ont opté pour des combinaisons inédites, 26,1 % d’entre eux ont reproduit l’ancienne série scientifique (maths, physique, sciences de la vie et de la terre). La deuxième combinaison la plus demandée (6,8 %) associe l’histoire-géo, les maths et les sciences économiques, et la troisième (6,5 %) combine l’histoire-géo, les langues et les sciences économiques.
Pour qualifier le challenge que représente la mise en place des nouveaux emplois du temps, on a longtemps hésité sur le terme approprié : « bordel monstre » ne paraissant pas suffisamment poli, on se limitera à une évocation impressionniste à mi-chemin entre Tetris, Rubik’s Cube et le dédale du Minotaure. À Mounier, c’est le proviseur adjoint, Philippe Raspail, qui est chargé de cette tâche titanesque à l’aide d’un logiciel dédié, et qui a accepté de nous donner les clés du labyrinthe dans un prochain épisode. Ce 2 septembre, Dominique Trelat, le prof principal de la 1ère G4, doit se débattre seul avec sa grande feuille colorée pour indiquer à chacun où il se trouvera, quand, avec qui et pourquoi.
Lundi, « c’est cool », commente-t-il, tout le monde commence à 10 heures. « Vous avez soit français, soit littérature anglaise, soit maths, soit SES [sciences économiques et sociales], soit SVT, énumère-t-il. De 13 h 30 à 15 h 30, c’est pareil. Et puis de 15 h 30 à 16 h 30, vous aurez tous anglais, c’est la seule heure où vous serez tous ensemble. » Mardi, il y a italien à 8 heures pour ceux qui ont pris cette langue en LV3 (langue vivante 3), et ensuite français pour tout le monde. À 10 heures, les 22 élèves se retrouvent dispatchés dans six cours différents. L’après-midi, « facile », dit le prof, c’est EPS avec lui puis français pour tous. Mercredi matin, ça se corse : LV2 (allemand, italien ou arabe selon les élèves) si c’est une semaine A, français si c’est une semaine B.
Damned, le carnet de correspondance ne donne pas le planning exhaustif des semaines A et B. « Vous n’avez qu’à écrire dans votre agenda “semaine A” pour la première semaine de l’année et vous enchaînez B, A, B pour les autres », propose, pragmatique, M. Trelat. Pour le jeudi, le prof de sport en perd son latin LV3 : « Ce que je comprends, c’est qu’une petite partie est en groupe classe et qu’une grosse partie est en spé… » Cahin-caha, tout le monde parvient au vendredi, en annotant son petit papier.
« Ça va être simple, vous allez voir », raille M. Trelat. Avant de prévenir : « Vous arrivez dans un enseignement où vous avez beaucoup choisi. Si vous avez choisi, c’est que vous aimez, alors les collègues vont être exigeants… Vous en pensez quoi ? » Naïma, une brune à l’agenda pailleté, prend la parole avec aise : « Oui, c’est mieux, on s’investira plus. » M. Trelat attrape la perche tendue : « Impliquez-vous à l’oral, ayez envie, on vous délivre des enseignements, donnez-vous : plus vous vous impliquerez, plus vous serez en réussite. »
Est-ce qu’on ne va pas pousser un gamin vers notre matière juste pour sauver des heures de cours ? J’espère que tout ça ne va pas dégrader la fonction de prof. »
En deux heures, Dominique Trelat a trouvé ses marques
À l’issue de la première, en parallèle du contrôle continu, après l’épreuve de français (comme avant) et l’évaluation sur la spécialité qu’ils abandonneront en terminale, les élèves auront à franchir lors de leur dernière année au lycée plusieurs étapes : les épreuves sur les deux spécialités restantes en mars, la philo à l’écrit et le grand oral