La dernière fois que j’étais allé interroger des adolescents sur la musique, ça avait déjà été compliqué. À la sortie des cours, le collégien est très occupé par plein d’autres choses à faire là, tout de suite. Au collège Aimé-Césaire du XVIIIe arrondissement de Paris, que suit Alice Géraud toute cette année, la prof de musique des 3e B nous a ouvert son cours. Le dernier de l’année. Ils étaient coincés pendant une heure, alors je m’y suis glissé.
Les élèves étaient éteints malgré tout. Voire carrément absents. Le ramadan en fatigue certains (lire l’épisode 25, « Le ramadan bricolé ») et les révisions du brevet n’arrangent rien. Alors parler de musique, et surtout de la façon dont ils écoutent de la musique… La musique à cet âge est un domaine qui touche à l’intime, à ce qu’ils peuvent revendiquer en public et ce qu’ils veulent garder pour eux. Surtout, la 3e B n’a jamais vraiment réfléchi à la façon dont les chansons leurs parviennent : elles sont juste là, elles leur plaisent ou pas.
Une confirmation a rapidement surgi dans notre discussion : YouTube est leur source quasi unique. YouTube en boucle à la maison, mais aussi YouTube comme magasin infini où les élèves téléchargent des chansons grâce à des sites et des applications comme Amerigo, YouZik, TubeMate, SnapTube… Toute la classe le fait et collectionne comme ça ses chansons du moment, entendues dans une pub
ou conseillées par un ami dans le cas de Junior, gros consommateur de musique et surtout de reggae de la Jamaïque
.

Mais est-ce que c’est bien légal de télécharger comme cela des vidéos sur YouTube ? Si on peut le faire, c’est que c’est légal
, répond Louanne du tac au tac. Suhimbou n’est pas d’accord : C’est illégal, parce qu’on télécharge des trucs dont on n’a pas les droits.
Sribavalan pense aussi qu’il y a un droit à l’image
qui leur interdit de faire ce qu’ils veulent – ce qui ne veut pas dire qu’ils ne le font pas, l’accès à la musique étant largement plus important pour eux que les questions légales.
Tout est un peu flou dans leur discours, mais une bonne partie des élèves, en rejetons des années 2000 traversées par le piratage, le peer-to-peer et l’Hadopi, savent que la musique ne flotte pas dans un océan sans droit ni lois. À force de lobbying des artistes et surtout de leurs bruyants représentants comme la Sacem, les questions de droit d’auteur sont désormais entrées très profondément dans la société, jusque dans la culture commune de collégiens de troisième.
Je leur demande alors ce qu’ils feraient si YouTube fermait un jour.