Thomas, le surveillant, a une technique toute particulière pour apaiser les élèves qui restent à la cantine à midi : envoyer du gros son
. Chaque jour, vers 12h30, peu de temps après que la discrète sonnerie a retenti, les haut-parleurs du niveau -1 du collège, ceux de la cour et de la cantine se mettent à cracher ça. Les morceaux diffusés sont choisis par les élèves. Dans le bureau de la vie scolaire, un cahier d’écolier bleu est à leur disposition pour qu’ils notent, le matin, les morceaux qu’ils ont envie d’écouter entre midi et deux. Thomas branche ensuite la playlist sur les haut-parleurs. L’instant cantine peut commencer. Une heure trente de récré. 240 ados et une poignée de surveillants pour les encadrer.
Dire que la musique empêche les bousculades de bandes d’ados affamés à l’entrée du réfectoire serait mensonger. Dire que la musique réussit à faire avaler sans douleur les plats de la Sogeres (la joliment nommée société qui fournit les repas pour les établissements scolaires du XVIIIe arrondissement) le serait tout autant. Mais pour le reste, la technique « gros son » fait son effet. Assez curieusement, alors qu’il faut crier pour demander le sel à son voisin, l’ambiance sonore de la cantine d’Aimé-Césaire est nettement plus supportable que celle d’un réfectoire classique, puisqu’on n’y entend ni cris, ni bruits de vaisselle.
La musique ne résout pas tout. Il y a toujours, régulièrement, des groupes de « grands » qui font le tour des tables pour piquer des desserts aux « petits ». Et l’on se met toujours des chiquettes dans la cour. Mais, ainsi résumé par Thomas, c’est quand même plus groovy
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Dans la cour, il y a parfois des filles qui dansent en groupe et des garçons qui font les BG en marchant chaloupé. Au réfectoire, on aperçoit régulièrement, debout derrière le comptoir du self, des cantinières prises d’un soudain déhanchement beyoncesque, une cuillère dans une main, une assiette dans l’autre.
Mais surtout, autour des longues tables encombrées de plateaux, entre deux bouchées, les élèves chantent. Incroyables scènes que les diffusions des morceaux de MHD, la star du moment et pas du tout, accessoirement, du quartier (il vient du XIXe), invariablement inscrit dans la playlist. Des petites filles sages de sixième aux grands steaks de troisième, toutes les lèvres bougent d’un même mouvement, et à toute berzingue, récitant les paroles à la mitraillette de l’afro trap parisien de MHD.