Au poker menteur de la fabrique des grandes réformes sociales, un jour ou l’autre vient le moment de dévoiler son jeu. Jusqu’ici, le gouvernement avait tout gardé dans sa manche dans le dossier des retraites, au prix d’une longue valse-hésitation de près de deux ans. L’indécision de l’exécutif a beaucoup agacé les syndicats. Les annonces d’Édouard Philippe les ont tous mis en colère. À l’inverse du mouvement des gilets jaunes où il fut très exposé, Emmanuel Macron a envoyé son Premier ministre en première ligne pour sortir du flou. Dans son discours d’une heure, prononcé ce mercredi midi au Conseil économique, social et environnemental (Cese), Édouard Philippe a tenté de préciser et de rassurer sur le projet du gouvernement. In fine, même la CFDT est très fâchée. Elle est pourtant favorable à un régime par points, dont le Premier ministre a confirmé la mise en œuvre progressive à partir de 2037, pour les générations nées après 1975.
Problème, Édouard Philippe a aussi annoncé l’instauration d’un « âge d’équilibre », jusqu’ici appelé « âge pivot », fixé à 64 ans avec un système de bonus-malus, afin « d’inciter les Français à travailler plus longtemps ». Autrement dit, l’âge légal reste fixé à 62 ans mais les salariés sont quand même priés de ne pas solder leurs droits tout de suite. Le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, était opposé à toute mesure d’âge ou d’économies et ne voulait toucher à aucun des paramètres habituels (durée de cotisation, montant des pensions…). Il est donc fort mécontent : « Il y avait une ligne rouge dans cette réforme, c’était le fait de ne pas mélanger la nécessité d’une réforme systémique (…) et la réforme paramétrique qui demanderait aux travailleurs de travailler plus longtemps. Cette ligne rouge est franchie », a-t-il réagi, quelques minutes après la fin du discours du Premier ministre. Et le syndicat appelle désormais ses militants à grossir les rangs de la mobilisation du 17 décembre.

Grèves et manifestations ne vont donc pas s’arrêter, notamment à la SNCF et à la RATP. Et ce premier « gros » effort de dialogue social fourni par la Macronie tourne à la débandade. « Depuis le début, le gouvernement joue le pourrissement. Il aurait pu éviter un conflit social massif en formulant des propositions de transition pour les régimes spéciaux. Il n’a jamais rien mis sur la table. Il a gâché et perverti la réforme », s’énerve Frédéric Sève, le négociateur de la CFDT, interrogé par Les Jours.