La photo est lisse comme le sont les images de communication. Tellement lisse qu’elle apparaît en décalage complet, en ce début 2019, avec les bruits de la rue qui gronde depuis plus de deux mois, jusque sous les fenêtres de l’Élysée. Nous sommes à l’intérieur du Palais, dans le salon Murat, à l’issue du premier Conseil des ministres de l’année. La photographe officielle d’Emmanuel Macron, Soazig de la Moissonnière, saisit les échanges de fin de réunion, en équipe réduite. Sur l’un des côtés de la grande table sont assis le Premier ministre Édouard Philippe, ainsi que Benoît Ribadeau-Dumas, son directeur de cabinet, de dos sur la photo. En face, le président de la République est debout, appuyé au dossier d’une chaise. À ses côtés se tient le secrétaire général de l’Élysée, Alexis Kohler, son principal et fidèle collaborateur depuis 2014. Message de la mise en scène : l’exécutif est au travail, serein, le chef de l’État dirige, le chef du gouvernement s’affaire…
Il n’est pas si courant de voir le quatuor ensemble sur le même cliché. Les quatre quadras qui président aux destinées de la France se réunissent tous les lundis pour passer en revue les grands sujets de la semaine, à huis clos. Mais l’instantané de la photo ne montre pas comment ces quatre hommes sont arrivés là, au sommet d’un pouvoir chancelant, cible favorite de la colère des gilets jaunes. Leurs itinéraires respectifs sont emblématiques : ils sont tous les quatre énarques, issus des grands corps (Conseil d’État et Inspection générale des finances). Mais ils n’ont pas toujours servi l’État. Tous ont aussi été des « pantouflards », ces hauts fonctionnaires partis travailler dans le privé avant, souvent, de revenir exercer des fonctions dans la sphère publique. Emmanuel Macron fut banquier d’affaires chez Rothschild, Édouard Philippe a travaillé comme lobbyiste chez Areva, Benoît Ribadeau-Dumas est passé par les groupes Thales et Zodiac Aerospace, et Alexis Kohler fut directeur financier de l’armateur MSC Croisières.

Ces allers-retours entre haute fonction publique et secteur privé, aussi appelés « revolving doors » ou « portes battantes » en bon français, de plus en plus fréquents, posent la question récurrente des conflits d’intérêts au plus haut sommet de l’État.