Feuilles en pagaille, calculette à portée de main, Amélie Verdier additionne, soustrait, élabore des ratios, et glisse à son voisin d’estrade les infos dont il a besoin pour répondre aux questions des journalistes. La directrice de l’administration du Budget est assise à la droite de Jérôme Fournel, directeur de cabinet du ministre des Comptes publics, Gérald Darmanin. Nous sommes dans l’hôtel des ministres, tout au bout de la longue allée qui traverse le ministère des Finances, là où travaillent les membres du gouvernement et leurs conseillers. En ce mercredi 27 septembre, au petit matin, le projet de loi de finances 2018 est en train d’être dévoilé à la presse. Dans une heure, il sera présenté officiellement en Conseil des ministres. En attendant, lui parle, elle se tait. La parole revient au plus politique des deux, celui qui travaille quotidiennement dans l’ombre du ministre. À lui d’expliquer les options retenues aux 200 journalistes conviés à un briefing off où les seuils et les barèmes se mêlent à des acronymes abscons. Mais Amélie Verdier et Jérôme Fournel parlent le même langage. Comme beaucoup de conseillers de Bercy, le dircab est lui-même issu de l’administration du Budget.
Le « PLF » – comme on dit entre initiés – a été bouclé tard dans la nuit. À 1 heure du matin, Gérald Darmanin a tweeté depuis l’imprimerie, pour la sortie du document final. « Avant la présentation d’un budget, c’est nuit blanche quasi assurée pour le cabinet du ministre. Des décisions sont prises jusqu’au tout dernier moment », explique Christian Eckert, ancien secrétaire d’État au Budget de 2014 à 2017. À l’estrade, on peut aussi apercevoir Emmanuel Moulin, dircab du ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, croisé dans l’épisode 3 de cette série. Avant leurs conseillers, les ministres sont venus délivrer leur message de com. Bruno Le Maire a parlé d’un budget qui devait « profiter à tous les Français » – message répété à plusieurs reprises pour tenter d’effacer l’image d’un budget avantageant les plus aisés, notamment via la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) sur les actions ou les parts dans les entreprises. Gérald Darmanin a versé dans le néologisme en évoquant la « sincérisation » du budget… Probable référence au rapport de la Cour des comptes qui avait critiqué le dernier budget de l’ère Hollande.

Mais ceux qui connaissent le PLF sous toutes ses coutures, ce sont les conseillers de Bercy. Savoir manier les lignes budgétaires donne du pouvoir.