Les grandes réformes sociales sont toujours immortalisées par la même photo, correspondant à un immuable rituel : syndicats, ministres et conseillers attablés dans une salle de la rue de Grenelle ou parfois à Matignon. Les discussions durent de longues heures, voire jusqu’au petit matin, le temps de trouver un accord sur les derniers points litigieux d’un texte – souvent les plus sensibles. Ancrés dans l’imaginaire politique français depuis Mai 68 et les accords de Grenelle, ces grands raouts politico-syndicaux, largement mis en scène, ont été organisés par la plupart les gouvernements successifs.
Cette photo traditionnelle n’existera pas pour illustrer la réforme du Code du travail voulue par Emmanuel Macron. Vous aurez beau chercher, impossible de trouver un cliché de tous les négociateurs syndicaux réunis autour de la même table face à Muriel Pénicaud, la ministre du Travail. Ils ont bien été reçus à plusieurs reprises depuis le début du mois de juin, mais un à un. Jamais au même moment, malgré leurs demandes répétées de discuter tous ensemble, dans la configuration dite d’« intersyndicale ». C’est le directeur de cabinet de la ministre, Antoine Foucher, qui a mené la plupart des réunions.
Au fil des discussions, nous avons eu l’impression de parler dans le vide, comme si nous participions à un simulacre de dialogue.
Sur une réforme qu’il sait extrêmement sensible, Emmanuel Macron a voulu garder le contrôle au maximum. Objectif : éviter une contestation et un mouvement social comme en 2016, au moment des débats sur la loi travail portée par Myriam El Khomri. Comme il l’avait annoncé pendant sa campagne, il a donc choisi la voie des ordonnances, qui exclut les députés de la fabrication du texte. Mais difficile d’écarter aussi des syndicats. La loi Larcher « sur la modernisation du dialogue social », datant de 2007, oblige le gouvernement à les consulter notamment dans le domaine des relations du travail. À son arrivée à l’Élysée en mai, le nouveau de chef de l’État a d’ailleurs rapidement reçu les organisations syndicales. Les premiers rounds de discussion ont ensuite débuté en juin avec le cabinet de Muriel Pénicaud. Mais de négociation, il n’a jamais été question. « Depuis trois mois que nous discutons, nous n’avons jamais eu le moindre texte sous les yeux », explique Michel Beaugas, négociateur Force ouvrière (FO). Les syndicats ont dû se limiter à faire part de leurs remarques sur des mesures envisagées, mais non écrites.