Marie Desplechin est chez elle, elle offre un café et demande très poliment la permission de fumer. Avec un vigneron, un chanteur, des profs ou encore une chômeuse, l’écrivaine fait partie de nos Électeurs, un panel sensible, concocté maison. Elle s’installe sur son canapé et commence à parler comme si on s’était quittées hier.
J’avais rencontré la romancière quand, avec d’autres intellectuels, elle avait appelé à une primaire de toutes les gauches (lire l’épisode 22 de l’obsession Politique année zéro). C’était une tentative pour éviter l’élimination de la gauche au premier tour de la présidentielle, et aussi pour « refaire une fraternité dite de gauche », dans une époque où il n’y a plus ni récit, ni parole commune pour la souder et où « le système politique dévitalise les gens, les abîme ». Rien à voir avec la compétition organisée par le Parti socialiste et qui a débuté le 15 décembre. « Aujourd’hui, quand on lit les journaux, on a l’impression que tout le monde joue à un jeu de Rubik’s cube géant : ils en sortent un, puis l’autre. Ça n’a aucun sens... »
La politique, pour mes enfants, c’est un truc moche. Ce n’était pas le cas pour moi.
Marie Desplechin est née dans une famille de « cathos de gauche », socialistes, dans le Nord de la France. Elle se souvient que ses parents avaient « des camarades », il y avait des grandes tablées, les réunions de militants ressemblaient à des fêtes. La politique, l’état du monde nourrissaient les conversations à la maison. « La politique, pour mes enfants, c’est un truc moche. Ce n’était pas le cas pour moi. » Née en 1959, elle était adolescente dans les années 1970. « Tout ce qu’on faisait était politique, on avait tout sous les yeux. Par exemple, le regroupement familial : on voyait bien que les enfants maghrébins n’étaient pas dans nos classes. Les premiers licenciements massifs de la fin des Trente Glorieuses, c’étaient des camarades, des voisins qui se retrouvaient au chômage... » À 13 ans, Marie Desplechin s’est engagée quelques mois à la « JC », la Jeunesse communiste, par l’intermédiaire d’une pionne. Cela a beaucoup fait rire son père, plutôt PSU. « Ça le ravissait : je devais répondre de tous les crimes de Staline. » Elle s’est dégourdie dans les comités d’action lycéens (« Qu’est-ce qu’on s’est marré », sourit-elle). Il y a quelque chose de joyeux quand elle en parle aujourd’hui.
Elle se cale entre deux coussins et ajoute : « Et puis il y a l’expérience d’être une fille. » Elle s’explique : « Tu as vite compris, avec le féminisme, que la politique, c’est ta peau. Cela change le regard, y compris dans le quotidien. » Il lui reste de ces années-là l’habitude d’ouvrir sa porte et « une fibre, des valeurs morales qui commandent la vie ».