Pendant un an, Les Jours ont mené des entretiens avec sept détenus dits « PRI » (« personnes radicalisées islamistes ») – dont Zoubeir – incarcérés dans différentes prisons. L’un d’entre eux, emprisonné après un retour de Syrie, raconte notamment son quotidien avec un jeune ayant tenté de s’y rendre plusieurs fois, sans jamais y parvenir. Les premiers mois, il est seul en cellule. Ensuite, ils m’ont mis avec l’autre zozo, là. C’était un champion du monde lui
. La vie avec ce codétenu se passe mal, pour des raisons idéologiques. « Il me disait : “Non, regarde pas la météo, c’est une prédiction sur l’avenir donc c’est du shirk.” Les infos, il voulait pas regarder parce qu’il disait : “C’est pas vrai ce qu’ils disent. La présentatrice, faut pas la regarder, elle est à poil.” Il enlevait le câble de la télé. Quand il entendait de la musique dehors, il fallait que je ferme la fenêtre. La cellule au-dessus demandait que je passe des cigarettes par la fenêtre, lui il voulait pas que je le fasse. Il me rendait fou. Je lui ai dit : “Prends le lit et étouffe-toi avec l’oreiller STP. Toi, tu veux mourir en martyr, c’est ça ton objectif ? Bah meurs tout de suite et laisse-moi tranquille.” »
À l’époque, ce champion du monde
a tout juste 18 ans. Originaire de Normandie, près de Rouen, il n’est jamais allé en Syrie mais a tenté de s’y rendre à plusieurs reprises (seules deux d’entre elles ayant donné lieu à des poursuites), sans succès, avant d’être arrêté en Turquie, expulsé en France et incarcéré. Son codétenu qui, lui, en revient, estime que son niveau de radicalité est encore plus élevé que celui constaté en Syrie. En prison, j’ai vu des gens comme lui, pires que ceux que j’ai vus en Syrie. Y en a certains, ils ont jamais mis un pied en Syrie mais ils sont pires que Daesh. Ils sont un niveau au-dessus.
Chaque matin, notre témoin est réveillé vers 4 heures du matin par son codétenu pour sa prière de l’aube (salat fajr). La nuit, il sort parfois de son sommeil en pleurs et se met à psalmodier. Il parlait tout seul, il disait :
Il faut que j’arrête de pécher, il faut que j’arrête de pêcher.

Au moment de cet entretien, ce codétenu n’est encore qu’un inconnu. Un « PRI » lambda parmi près de 250 autres en région parisienne. Des mois plus tard, en juillet 2016, il sort de l’anonymat dans une église de Saint-Étienne-du-Rouvray.