La décision de quitter l’État islamique (EI) est venue progressivement. D’abord, dit Bilel, en raison d’une spirale de violence dans laquelle le groupe s’est engagé. Je suis pas venu en Syrie pour faire du mal, je suis venu faire du bien. Et je me rends compte qu’en fait, ici, je fais plus de mal que de bien. Maintenant je fais partie d’une organisation qui est devenue l’ennemi numéro 1 mondial. Moi, je suis pas venu pour être l’ennemi du monde et je me rends compte que c’est de pire en pire.
J’avais pas de projet à long terme en France.
En France, Bilel, titulaire d’un bac gestion, vivait du RSA, après avoir enchaîné les petits boulot d’intérim. J’avais pas de projet à long terme en France.
Il explique avoir basculé dans l’idéologie jihadiste après un bref passage par le salafisme quiétiste. Ses parents, des ouvriers à la retraite nés au Maroc, pratiquent un islam traditionnel, très éloigné du jihadisme. Ils ont eu peur et ils ont été choqués de mon départ, ils n’ont pas compris le but de ma démarche. Moi, quand je suis arrivé ici, j’étais un peu engrainé dans le milieu jihadiste. En France je suivais ça comme tout le monde, dans les reportages, sur Facebook. Facebook à l’époque, ça marchait beaucoup parce que tout le monde avait un compte, tout le monde parlait de ce qui se passait en Syrie. J’avais des contacts de Jabhat al Nusra, j’avais des contacts de l’État islamique.
Bilel explique être arrivé seul en Syrie, grâce, donc, à un contact Facebook au printemps 2014. De France, il se rend au Maroc, d’où il prend un vol Casablanca-Istanbul puis un bus pour la ville frontalière d’Hatay, où il rejoint ce contact qu’il n’avait pas encore rencontré physiquement. À son arrivée à Hatay, Bilel a été accueilli dans un appartement peuplé de blessés, des jihadistes, pense-t-il, évacués vers la Turquie pour y être soignés. Bilel reste deux jours dans cet appartement avant qu’un passeur ne vienne le chercher et lui fasse traverser la frontière avec des civils. 30 à 45 minutes de marche dans une forêt avant d’être récupérés par une fourgonnette qui les emmène dans un maqar, une maison où sont installés des blessés et des combattants. Ces derniers appellent alors leur émir pour vérifier l’identité de Bilel.
Cet émir est membre de la branche syrienne d’Al Qaeda, Jabhat al Nusra. Il décide d’envoyer Bilel « faire un muaskar », c’est-à-dire rejoindre un camp d’entraînement : Maniement des armes, ils te donnent les bases. Ils t’apprennent à démonter, à remonter. Ils te font faire du footing, les bases. Ils te réveillent la nuit, ils font des attaques surprises, il faut vite que tu t’habilles, que tu te chauffes, tu vas dans le fossé, dans la tranchée, après il y a inspection générale pour voir si t’es bien habillé, si t’as bien monté tes armes… On t’apprend la vie militaire. On t’apprend une nouvelle hygiène de vie, des habitudes, ça a duré un mois mais moi au bout de deux semaines, j’ai voulu partir.
Ce camp est tenu par le groupe Harakat Sham al Islam (HSI) composé de Marocains.J’étais avec eux parce que je suis d’origine marocaine. Déjà pour la langue, c’était plus simple…
Harakat Sham al Islam est une unité jihadiste composée d’une majorité de Marocains et fondée par un ancien détenu de Guantanamo, Ibrahim Benchekroun tué au combat en 2014, juste avant l’arrivée de Bilel. Dans la région de Lattaquié, ce groupe a activement combattu le régime syrien au printemps 2014, mais Bilel estime que ces volontaires étrangers sont davantage envoyés en première ligne que les Syriens. « Oui, ils se sont servis d’eux pour combattre notamment à Kassab, quand il y a eu la grande bataille. J’ai vite compris que dans les combats, les Syriens, ils restent derrière et ils envoient les muhajirin, ceux qui ont fait la hijra, les étrangers quoi, ils les envoient au casse-pipe. C’est là que j’ai compris la mentalité. »
À cette période en Syrie, les brigades liées à Al Qaeda sont déjà en guerre ouverte avec l’État islamique. C’est la discorde entre les groupes jihadistes. Cette fitna a commencé progressivement, un an avant. Des dissensions sur la question de l’application de la charia d’abord. Puis des enjeux locaux comme le contrôle des ressources pétrolières. Mais surtout en raison d’une concurrence pour le leadership du jihad mondial entre le numéro 1 d’Al Qaeda l’Égyptien Ayman al Zawahri, et celui de l’EI, l’Irakien Abu Bakr al Bagdadi.
Au printemps 2014, l’EI est ainsi chassé du front de Lattaquié où se trouve Bilel. Déjà il n’y avait plus l’EI dans cette région. Moi, j’avais senti qu’ils avaient beaucoup la haine contre Dawla. Ceux avec qui j’étais ils étaient très contre Dawla. Moi j’étais neutre, je savais pas encore. J’avais entendu parler de l’EI, de Jabhat al Nusra, des combats entre eux. Mais c’est vraiment une fois sur le terrain que j’ai vu la scission, les problèmes, etc.
Bilel dit avoir rejoint Harakat Sham al Islam par nécessité : Il faut rentrer dans un groupe si tu veux pas rester seul. J’avais pas de sous pour payer un appartement, je connaissais personne pour m’aider ou m’héberger.