À peine la porte de son appartement franchie, Ali Bouri annonce la bonne nouvelle. « Le travail, je le commence demain. » Comme soulagé d’un poids. Il faut dire que depuis son arrivée dans le quartier Concorde, mieux connu sous le nom de « boulevard de Metz », en 2012, le robuste quinquagénaire algérien enchaînait sans succès les rendez-vous avec Pôle emploi et avec les associations d’insertion, distribuaient des CV à la pelle sans jamais recevoir de réponse positive, à l’exception d’un petit contrat de quinze jours à Lesquin, au sud-est de Lille, comme agent d’entretien. Une situation loin d’être anecdotique dans le quartier, où près d’un actif sur deux est au chômage – la même proportion touche le RSA socle.
Nous sommes début novembre 2017 et Ali prépare du thé à la menthe pour fêter son embauche, en raconte les détails d’une voix hachée. Il a signé un contrat à temps partiel de quatre mois, comme « chargé de propreté » du boulevard de Metz. Tous les matins, de 8 heures à midi, du lundi au samedi, il devra ramasser les papiers qui traînent sur les trottoirs et passer le balai dans les caniveaux. Pour la première fois, quelqu’un se réjouit de la saleté du quartier : « Si y’a pas d’ordures, y’a pas de saleté, pas de travail, donc pas d’argent. La saleté du quartier m’arrange, en fait. » Ce travail comme tombé du ciel, Ali le voit comme une récompense de sa patience. Coincé dans les quelques mètres carrés de son petit studio rongé par l’humidité, avec tout juste 647 euros par mois pour vivre, il a continué d’espérer. Espérer, c’est sa grande force.
Pendant toutes ces années, Ali s’est entretenu chaque jour à la salle de sport. A passé son code de la route. Il a tenu. Grâce également à la religion, dit-il. Il est tombé amoureux, aussi, de Christelle, l’amie d’une de ses sœurs. Et puis il y a la peinture. Des paysages avec des lacs et des forêts, la vieille ville d’Oran, en Algérie, des bouquets de fleurs… Toiles et dessins tapissent les murs de son salon. Même la porte et les côtés du frigo sont recouverts de cannettes de soda peintes à la main.
Ali a toujours aimé la peinture. Déjà, à l’école en Algérie, le dessin arrivait en tête de ses matières préférées, avec la géographie et les sciences naturelles. Mais au lycée, Ali échoue à passer son bac. « J’étais malade. J’ai pas voulu le repasser, j’aime pas recommencer les choses. » Il pense alors s’orienter vers l’armée, mais sans son bac, il serait parti de zéro.