C’est samedi soir, c’est l’apéro, c’est l’heure de jouer au bingo ! Il est 18 h 30, ce 10 avril, quand les parlementaires se lancent dans l’examen des mesures d’encadrement du secteur aérien du projet de loi « climat et résilience » (lire l’épisode 1, « La loi climat en quête d’un “deep impact” »). Au même moment, sur les réseaux sociaux, le mouvement de désobéissance civile ANV-COP21 donne le coup d’envoi de son « #BullshitBingo », une animation imaginée pour l’occasion. Les règles du jeu consistent à écouter les députés par l’intermédiaire du live du site de l’Assemblée nationale et de cocher les cases d’un carton virtuel de trois colonnes sur trois lignes. Chaque case contient un argument jugé fallacieux que les élus opposés à des mesures fortes ne devraient pas manquer d’employer. Il faut une demi-heure au député Les Républicains (LR) Jean-Marie Sermier pour remporter le gros lot, en ayant coché toutes les cases en une seule intervention. Bingo.
La tirade est enlevée. Tout y passe ou presque. Avec l’article 35, premier de la séance du soir, il ne s’agit rien de moins que de remettre en cause la « légitimité de la filière aéronautique française ». Or, mes chers collègues, gardons la tête froide, serrer la ceinture de sécurité à un secteur qui « ne représente malgré tout que 2 % ou 3 % environ » de nos émissions, cela ne va pas « régler le problème du climat mondial », alors que mettre tous les avions au sol, c’est prendre le risque de faire « 180 000 chômeurs ». En conséquence, « allons-y donc mollo dans cette affaire ». Surtout que l’avion décarboné, à hydrogène, est quasi au point, on va pouvoir le lancer dans les airs d’ici peu : 2035, c’est demain. À n’en pas douter, ce sera « un véhicule complètement écologique et adapté à l’évolution du climat ». Réfléchissons à deux fois avant de « casser par quelques taxes supplémentaires momentanées une filière qui ne demande qu’à vivre ». Et d’ailleurs, demande le député du Jura, 60 ans, « à quel titre, nous qui avons pu bénéficier d’une certaine qualité de vie et de voyages, irions-nous maintenant dire à nos enfants et petits-enfants qu’à partir de maintenant ils n’auront plus la possibilité de se déplacer et qu’ils devront devenir parfaitement sobres ? » Voilà, bande d’Amish, voleurs de rêves et fossoyeurs du progrès, ce que propose aux Français ce chapitre IV hypocritement intitulé « Limiter les émissions du transport aérien et favoriser l’intermodalité entre le train et l’avion ».

Évidemment, avec un tel décollage, il est aisé pour le ministre délégué aux Transports Jean-Baptiste Djebbari, ancien pilote et directeur des opérations d’une compagnie de jets privés, qui a remplacé ce soir la ministre de la Transition écologique Barbara Pompili sur les bancs du gouvernement, de passer pour un révolutionnaire écolo.