Des produits alimentaires dont le prix est multiplié par deux, un plein d’essence qui revient à plus de 100 euros… Si, en ces temps d’inflation (5,8 % en juin depuis un an), un sujet devrait faire consensus, c’est bien une loi destinée à amoindrir les effets de la conjoncture économique mondiale (les pénuries liées à la guerre en Ukraine, notamment) sur le porte-monnaie des Français et Françaises. Et le gouvernement ne fait pas les choses à moitié : à travers des baisses de taxes, des hausses de salaire et de prestations sociales, il compte distribuer 20 milliards d’euros avec son projet de loi « portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat ». Qui dit mieux ? Eh bien, justement, l’opposition. Car cela ne vous a pas échappé : la majorité macroniste est relative à l’Assemblée nationale, avec 250 élus. Cela veut dire qu’elle a besoin des voix (ou de l’abstention) d’une partie des groupes d’opposition pour faire adopter ses réformes. L’avenir de ce texte de loi repose donc sur l’attitude de la Nouvelle union pour une majorité populaire, écologique et sociale (Nupes, 151 députés), ainsi que sur celle des Républicains (LR, 62 députés) et du Rassemblement national (RN, 89 députés).
Comme l’a montré la motion de censure déposée par la Nupes et rejetée ce lundi grâce à l’abstention ou au vote contre de LR et du RN, le gouvernement peut espérer s’en sortir grâce aux divisions de l’Assemblée. Mais un tel scénario va-t-il se reproduire avec la discussion parlementaire à venir ? C’est ce que nous allons vous raconter dans cette série, premier test de passage d’un macronisme qui n’est plus dominateur.
Les règles du jeu du débat à l’Assemblée, le gouvernement les a fixées la semaine dernière. Vendredi 8 juillet, Olivier Véran, le porte-parole du gouvernement, a ainsi promis que « des amendements de l’opposition seront adoptés », sans dire lesquels. Mais la veille, en présentant à l’Assemblée le projet de loi, Bruno Le Maire avait laissé très peu de marge de manœuvre aux députés. D’accord pour modifier à la marge le texte, a-t-il laissé entendre, mais hors de question d’augmenter encore la dette. « Nous avons atteint la cote d’alerte, expliquait le ministre de l’Économie et des Finances. Tout n’est pas possible financièrement. La majorité est prête au compromis, mais pas au reniement de ses principes », qui sont de revenir à un déficit public inférieur à 3 % d’ici à 2027. Il faut dire qu’avec le projet annoncé jeudi en conseil des ministres, et dont les principales mesures avaient déjà largement filtré, les finances publiques sont déjà bien sollicitées.
Comme prévu, un grand volet concerne l’énergie : le « bouclier tarifaire » sur les prix du gaz et de l’électricité, mis en place à l’automne dernier, est prolongé jusqu’à la fin de l’année. De même, la remise de 18 centimes sur l’essence, qui devait prendre fin en juillet, est maintenue jusqu’en septembre. Elle disparaîtra progressivement jusqu’en décembre (la ristourne passera à 12 centimes en octobre et à 6 centimes en novembre) et elle sera ensuite remplacée par une indemnité carburants de 100 à 300 euros destinée à 11 millions de ménages modestes qui doivent utiliser leur voiture pour se rendre au travail. Un « bonus » sera aussi prévu pour les « gros rouleurs », c’est-à-dire les personnes habitant à plus de 30 kilomètres de leur lieu de travail ou parcourant plus de 12 000 kilomètres par an dans le cadre professionnel.
Deuxième axe du projet gouvernemental : les hausses de revenus pour de nombreuses catégories de Français. Les fonctionnaires, d’abord (5,7 millions de personnes), verront leur point d’indice augmenter de 3,5 % dès le 1er juillet. C’est la hausse la plus forte depuis 1985. Les travailleurs modestes qui touchent la prime d’activité bénéficieront d’une revalorisation de 4 % à compter de juillet, après une hausse de 1,8 % en avril. Les familles recevront des prestations sociales en hausse de 4 %, tout comme les retraités et les étudiants qui perçoivent des bourses. L’aide personnalisée au logement (APL) augmentera elle de 3,5 %. Il est aussi prévu une aide exceptionnelle de rentrée de 100 euros par foyer (et de 50 euros par enfant à charge) destinée à 8 millions de foyers modestes. Enfin, il faut ajouter un triplement de la « prime Macron »
Cette suite de mesures tranche singulièrement avec les débuts du précédent quinquennat. Souvenez-vous, en 2017, Emmanuel Macron avait suscité de nombreuses polémiques en supprimant l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) et en réduisant les APL. Cette fois-ci, les priorités sont inversées. Et, à en croire le gouvernement, cette générosité est possible sans augmenter les impôts ou accroître la dette, en profitant de recettes publiques plus importantes que prévues. L’année 2021 ayant été très bonne pour les entreprises, elles ont versé à l’État (sous forme d’impôt sur les sociétés ou de TVA) 50 milliards d’euros de plus que ce qui était inscrit dans le budget initial.
Mais cette « cagnotte », l’opposition veut l’utiliser à fond. Dès le 5 juillet, la Nupes avait ainsi déjà dévoilé une proposition de loi « d’urgence sociale » qui prévoit une hausse du smic à 1 500 euros, le blocage des prix des produits de première nécessité, des carburants et de l’énergie, ou encore une hausse de 10 % du traitement des fonctionnaires et des APL. De leur côté, Les Républicains veulent baisser les taxes pour faire descendre le prix du carburant à 1,50 euro, supprimer la hausse passée de la CSG pour les retraités et réduire les charges pour augmenter les salaires nets. Ce sont les « trois priorités principales » fixées par Olivier Marleix, le patron des députés LR, dans une lettre envoyée à la Première ministre Élisabeth Borne. « Si, comme vous nous l’avez indiqué, votre gouvernement semble ouvert au dialogue, […] alors il doit amender et enrichir son projet de loi pour porter avec nous ces mesures indispensables », a ainsi écrit Olivier Marleix.
Quant au Rassemblement national, il semble partir avec de meilleures intentions (pour le gouvernement), mais peut-être est-ce uniquement tactique. Toute à sa stratégie de respectabilité, Marine Le Pen a ainsi indiqué sur RTL le 7 juillet que, contrairement à « l’extrême gauche » dont « l’agenda » est « de faire sauter la Ve République », elle a comme priorité « les Français » et veut que le projet de loi sur le pouvoir d’achat puisse « être voté » car c’est « urgent ». Mais la leader du RN a critiqué l’aide aux « gros rouleurs », « une usine à gaz », et a assuré que la seule mesure « efficace » est ce qu’elle a proposé pendant la campagne présidentielle : une baisse de la TVA de 20 % à 5,5 % sur les prix de l’énergie et du carburant.
Une fois ces positions fixées, voilà maintenant venu le temps de la discussion parlementaire. Et là, tout semble ouvert. Les oppositions vont-elles s’allier ? Le Front républicain va-t-il être définitivement enterré ? Autrement dit, un groupe (quel qu’il soit) va-t-il assumer le fait d’avoir un amendement adopté grâce à l’aide des députés du Rassemblement national ? Autre interrogation : si le débat s’enlise, le gouvernement va-t-il prendre le risque d’utiliser l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, en engageant sa responsabilité devant les députés (alors qu’il a évité de le faire après le discours de politique générale d’Élisabeth Borne) ?
On devrait être rapidement fixé sur les états d’esprits des uns et des autres avec le début, dès ce lundi, de la discussion en commission. Ou plutôt, des discussions. En effet, étant donné que la loi sur le pouvoir d’achat a des conséquences sur le budget, elle s’accompagne d’un autre texte, un projet de loi de finances rectificative (ou PLFR). Et trois commissions sont saisies en même temps : les finances, les affaires sociales et les affaires économiques. Elles vont devoir se prononcer sur les nombreux amendements déposés : 350 pour le texte pouvoir d’achat et 254 pour le PLFR. Même si les députés n’ont eu que quelques heures pour examiner le projet gouvernemental et rédiger leurs propres textes (la date limite de dépôt des amendements avait été fixée à samedi), ils ne se sont pas restreints. La prime à François Ruffin. Le député Insoumis n’était pas content de ce délai
TotalÉnergies a vu son bénéfice progresser de 48 % à près de 5 milliards d’euros au premier trimestre 2022. Si on divise ces 5 milliards d’euros-là par les 18 millions d’automobilistes français qui prennent leur voiture chaque jour pour aller au travail, cela fait 100 euros par mois.
Le député de la Somme veut ainsi que le groupe Total verse « un chèque de 100 euros mensuels à chaque ménage français qui utilise sa voiture pour aller travailler à plus de 5 kilomètres de son domicile de juillet à décembre 2022 ». Justification : « TotalÉnergies a vu son bénéfice progresser de 48 % à près de 5 milliards d’euros au premier trimestre 2022. Si on divise ces 5 milliards d’euros-là par les 18 millions d’automobilistes français qui prennent leur voiture chaque jour pour aller au travail, cela fait 100 euros par mois. » Ruffin demande aussi à ce que l’on indexe les salaires de tous les salariés sur l’inflation, qu’on aligne la rémunération des patrons du CAC40 sur l’évolution moyenne des salaires, mais aussi les salaires sur l’évolution du patrimoine des 500 plus grosses fortunes. Certaines de ses propositions font franchement sourire. Ainsi, cette interdiction faite aux chaînes de télévision privées type Canal+ ou BeIn Sports de se réserver la diffusion des matchs de l’équipe de France. « La multiplication des opérateurs payants diffusant des compétitions sportives, y compris des équipes nationales, ajoute une dépense aux supporteurs par rapport aux périodes précédentes », écrit-il dans l’exposé des motifs.
Mais, au titre des amendements symboliques, il y a mieux. Le groupe écologiste veut ainsi voir augmenter la TVA sur les produits de luxe. Celle-ci passerait à 33 % pour les yachts, les bijoux, les œuvres d’art ainsi que pour le caviar, autant de « produits de consommation non essentiels ». Le caviar, pas essentiel ? Voilà ce que c’est d’accueillir à l’Assemblée nationale des députés qui n’ont pas de goût. Et surtout, qui sont bien timorés. Exigeons du caviar à la louche pour tous les smicards ! Ce sera la condition pour que le gouvernement puisse faire voter son texte de loi.