Il y a de la buée aux vitres. À l’entrée du café, un militant vérifie les inscriptions. « On est plus de 100 », glisse-t-il, smartphone à la main, pour comptabiliser les participants. Je trouve l’une des dernières places assises, à côté d’une femme qui passera la séance de deux heures à pianoter sur son téléphone avant de partir avant la fin, et de deux trentenaires, l’air faussement nonchalant, amis depuis le lycée, Simon et Jean-Philippe. À Paris, un samedi matin de janvier, les adhérents des IXe et Xe arrondissements du mouvement d’Emmanuel Macron, En marche, se sont donné rendez-vous dans ce café aux parois transparentes, situé sur la place de la République. C’est un petit monde en soi, échauffé, enthousiaste, heureux de se rassembler. Dehors, on aperçoit l’arbre du souvenir, planté pour commémorer les attentats à Paris. Quelques CRS veillent. Une manifestation de Kurdes se prépare sur la place. Mais en ce matin glacial, le monde extérieur ne semble pas atteindre les militants d’En marche, tout à leur ferveur, regroupés sous cette cage de verre.
« Combien d’entre vous sont adhérents ? » Stanislas Guerini, directeur marketing, ancien strauss-kahnien, est au micro, il a enfilé un sweat-shirt gris barré du slogan « En marche », ce trentenaire est le responsable du mouvement à Paris. Céline Calvez, communicante, est, elle, la « référente » pour les IXe et Xe arrondissements. Elle n’est pas affublée de vêtements de campagne. Elle anime la rencontre. Le mouvement compte un référent par département et un par arrondissement pour la capitale. La parité hommes-femmes est respectée. À la question, la plupart des bras se lèvent. Céline Calvez sourit, se félicite du résultat. « Dans le IXe, on a un adhérent pour 60 habitants », a-t-elle calculé. L‘assistance compte majoritairement des convaincus, déjà actifs. Être adhérent, en fait, c’est être inscrit : il suffit d’aller sur le site d’En marche, de cliquer sur « J’adhère », puis de confirmer par retour de mail (après avoir juré ne pas être un « robot »). C’est gratuit. Chaque réunion commence par l’annonce du décompte (au jour près) de leur nombre. Il s’actualise automatiquement sur le site internet. Ce chiffre enfle.
Emmanuel Macron, qui a intitulé son livre Révolution (XO Éditions), veut que les Français soient au cœur de la vie politique et non plus « son décor ». Il espère « en finir avec la politique comme profession réglementée ». L’objet d’En marche est de « construire une force de conviction et de proposition » qui repose sur « la participation et la mobilisation des acteurs de la société ». Soit. Allons voir. Comment constituer un mouvement hors des partis politiques traditionnels « obsolètes », « exsangues » ? Comment fédérer à partir d’une « vision », comme Emmanuel Macron aime à le répéter, dans son livre ou en meeting ? Comment bâtir une force politique sans utiliser les mêmes recettes, sans décevoir ? Les Jours vont suivre ces efforts d’imagination à l’épreuve de la campagne présidentielle.
Un candidat à l’élection présidentielle de 39 ans, qui veut du « renouvellement » et promet de la « transformation », cela parle aux adhérents. Même si, pour l’instant, il n’y a pas réellement de programme. Les hommes et les femmes réunis ce matin-là ont l’impression de s’embarquer pour une « aventure collective ». Les animateurs des comités défilent pour se présenter. La majorité ont la trentaine. Certains ne s’étaient jamais engagés auparavant. On en compte 3 000 en France. 400 « événements » sont organisés chaque semaine.
Sur la robotisation, l’écologie, l’Europe, les nouveaux modes de protection sociale, seul Macron a un projet “disruptif”.
« C’est la première fois que je parle à un micro, comme ça », confie Audrey. Elle est applaudie. Son engagement s’est « cristallisé », au moment de « la grande marche », elle a adoré frapper aux portes, aller « à la rencontre des citoyens » et ressentir cette « expérience de l’altérité ».
Plus âgée, Geneviève apprécie elle aussi la « démarche originale d’Emmanuel Macron d’aller écouter les gens ». « On n’est pas des petits soldats », jure-t-elle. Pierre, un jeune homme animateur du comité de la gare de l’Est (qui comprend 60 membres), salue la méthode : établir un « diagnostic » sur l’état de la France et organiser des ateliers thématiques (sur l’école, la santé, le travail…). « J’avais des doutes mais j’ai eu deux bonnes surprises : les débats ont été de qualité et puis ce qu’on a produit en groupes a été utilisé. »
D’autres ont déjà eu une expérience politique ; à gauche ou à droite. Mathieu, petite barbe de quelques jours, la trentaine, s’est engagé après la victoire de François Fillon à la primaire de la droite. Il a participé à la campagne de Nathalie Kosciusko-Morizet et dit appartenir à la « droite progressiste » : « Fillon, c’est le repli identitaire, religieux », assène-t-il. Il poursuit : « Sur la robotisation, l’écologie, l’Europe, les nouveaux modes de protection sociale, seul Macron a un projet “disruptif”. » Dans la salle, personne ne sursaute à l’adjectif. « Lui seul combat les conservatismes de droite comme de gauche », conclut Mathieu, collant tout à fait à la présentation de Macron par lui-même, qui se place systématiquement dans le camp du progressisme opposé aux conservatismes de tous bords. Chantal se désole : « On vit dans l’immobilisme, on ne sort plus de son couloir de nage. » Elle compte sur Macron « l’électron libre » pour bousculer la société. Un autre apprécie de trouver des gens de droite et de gauche dans les comités, il a envie de « contradiction, pas d’entre-soi ». Il loue la « diversité ». Ce n’est pourtant pas ce qui saute aux yeux : la majorité des participants ont entre 30 et 40 ans, sont blancs et quand ils annoncent leur métier, on peut les classer dans les CSP+. En cela, ils sont le reflet de la sociologie de ces arrondissements. Mais c’est vrai, les participants ne viennent pas tous du même bord politique.
On se sentait bien ensemble.
Jean, qui a fait « la grande marche », a éprouvé alors une « forme de joie » : « On se sentait bien ensemble », dit-il simplement. C’est un argument qu’on n’entend plus guère dans les partis politiques, souvent éreintés. Jean raconte qu’il est tête en l’air et que, lors d’une précédente réunion, en novembre, il s’était trompé de date. Il arrive au café où doit se tenir un comité. À l’étage, trois personnes attablées ensemble, plutôt âgées de 40-50 ans, le regardent : « On ne vous a jamais vu. » C’était une réunion pour Alain Juppé. Le lendemain, Jean revient : « Même heure, même lieu : il n’y avait pas trois personnes, mais quinze. C’est pour ça qu’il faut y croire. » L’anecdote amuse le public. Elle le conforte. Ceux qui ont l’habitude d’assister à des réunions politiques s’émerveillent de voir autant de monde. Certains parlent de « dynamique », d’autres de « montée en puissance », de « vague ». « Il faut aller convaincre tout le monde, la boulangère, le voisin… Parlez politique ! », invite un responsable.
Les macronistes mettent un point d’honneur à faire circuler la parole. Ce souci « de ne pas être vertical », comme on entend souvent dans ces réunions, est vendu comme une marque de fabrique. L’une des premières questions de la salle porte sur les élections législatives. « On admire Macron, on veut changer les choses et qu’il devienne président, dit Paul. Mais il lui faut un Parlement du même bord, sinon il ne pourra pas acter ce qu’il a prévu. Il faut des députés. » Un autre renchérit : « Quel sera le processus démocratique pour choisir les candidats ? » Un troisième : « On va récupérer d’anciens députés ? Il faut une prime à la nouveauté. » Les citoyens ordinaires semblent avoir pris goût à cette participation, certains ont peur de voir leurs désirs de renouvellement menacés par le recyclage de politiciens de carrière venus d’autres partis. Sylvain Maillard veut les rassurer. Chef d’entreprise, adjoint au maire du IXe arrondissement, il a rejoint Macron, déçu de découvrir que la politique est un monde « de cooptation, de soumission ». Il est de centre droit. « Notre idée, c’est de rénover la politique, cela ne sert à rien de changer si on prend les mêmes personnes. » Une commission nationale examinera les candidatures qui pourront se faire en ligne. En marche présentera 577 députés, et promet de respecter l’« équilibre » entre néophytes et expérimentés.
Les adhérents se coordonnent pour les futures actions. Une équipe de campagne locale est présentée avec des pôles : « réseaux sociaux », « terrain », « contenus », « mobilisation », etc. On donne les noms des responsables. L’engouement des militants est canalisé. Il en devient efficace. À ce moment-là, un homme rentre dans le café et crie : « L’anarchie vaincra ! » avant de s’échapper. L’anarchie, ce n’est pas ici. Pas désarçonnée, Cécile Calvez sourit : « Oui d’accord, salut. » Cette intrusion n’a rien bousculé. Les participants continuent à parler de la campagne et de leurs bonnes volontés. Bernard prend alors le micro pour parler des besoins de financement. En marche n’est pas un parti constitué bénéficiant de fonds propres. Il faut payer les meetings, les 50 salariés permanents, la communication, et le reste. Cinq millions d’euros ont été collectés, Macron compte emprunter une partie, autour de 8 millions. « Il reste 9 millions à trouver pour atteindre le plafond de 16,8 millions (pour le premier tour). On compte sur vous. Il y a 130 000 adhérents, si chacun donne 36 euros, on les a. » Et, c’est sans compter la ristourne fiscale… « Bref, c’est à portée de main. » C’est tout à fait exact puisque Bernard est venu avec une machine à carte bleue et des formulaires de dons qui commencent à circuler, avec un certain succès. Quand la rencontre se termine, tout le monde se donne rendez-vous très bientôt.
Je m’attarde avec Simon et Jean-Philippe, avec qui j’étais attablée. Les deux « potes » du lycée ont fondé une start-up ensemble. Le premier, ancré à gauche, croyait qu’il ne voterait plus jamais. « J’avais lâché l’affaire. » Il est intéressé par « le cassage de codes, le renouveau, le langage différent de Macron » mais se sent encore comme un « observateur ». « Je crains une normalisation globale du mouvement, et que cela devienne comme les autres partis. » Il s’interrompt d’ailleurs pour un aparté avec le « référent » parisien pour donner son avis : il désapprouve le slogan de Macron, « Le candidat du travail », « déjà servi », regrette-t-il. Son copain Jean-Philippe a été il y a quatre ans militant au MJS (Mouvement des jeunes socialistes). Il n’y a vu que des « apparatchiks qui, à 20 ans, ressemblent déjà à des professionnels de la politique et des tractations ». Au QG de Macron, il a retrouvé ce qu’il connaît des start-up : « De l’approximation parfois, mais du renouvellement. On sent le mouvement en train de se construire. » Il compte se rendre à la prochaine action d’En marche pour aller tracter aux sorties de métro.