Agadez, envoyée spéciale
Ils sont arrivés il y a une semaine, en bus depuis Diourbel et Tambacounda, deux petites villes du Sénégal. Cheikh et Mamadou, 21 ans tous les deux, ne se connaissaient pas avant de se retrouver dans cette petite maison en banco à Agadez, dans un des « ghettos » où les voyageurs de passage attendent de pouvoir partir vers la Libye. Moi aussi, je suis à Agadez depuis une semaine à ce moment-là, à essayer de comprendre ce qui se passe dans cette ville devenue un chassé-croisé de gens sur la route : ceux qui reviennent, ceux qu’on refoule, ceux qui sont coincés là, et puis ceux qui arrivent, comme Cheikh et Mamadou, pleins d’espoir et forts de leurs rêves. Six mois plus tôt, j’étais en Sicile, à Catane, là où le corps de PM390047 repose dans la tombe numéro 27, avec PM390022 et PM390024, eux aussi victimes du naufrage du 18 avril 2015 (lire l’épisode 1, « PM390047, un mort en Méditerranée »). La Sicile, c’est la destination de Cheikh et Mamadou. Ils font partie de ce flux que l’Union européenne essaie de ralentir depuis 2015, à coups de contrôles accrus sur la Méditerranée et désormais aussi ici, dans le nord du Niger. C’est là que nos routes se croisent, dans la pièce enfumée par un petit fourneau, aux murs couverts d’inscriptions laissées par les voyageurs.
« Alors, tu iras aussi en Libye ? », me lance Cheikh, un brin provocateur. « Non, j’ai trop peur », lui réponds-je en wolof. Comme Cheikh et Mamadou, j’ai grandi au Sénégal, eux à l’intérieur des terres, moi sur la côte atlantique. Ça les fait rire. Quand j’ai eu 15 ans, mes parents ont décidé de rentrer dans leur pays, en Finlande. Je les ai suivis et, quelques années plus tard, à l’âge de Cheikh et de Mamadou, j’ai quitté mon pays pour vivre et travailler en France. Si on parle de Cheikh et de Mamadou comme des migrants économiques, j’en suis aussi.
« Oui, mais c’est pas la même histoire, proteste Cheikh. « Dëgg nga wax, tu as raison », je dis. Je n’ai jamais risqué ma vie en prenant la route, ni connu les limbes dans lesquels plonge le voyageur qui traverse les frontières illégalement. Et je n’irai pas en Libye, où les voyageurs comme Cheikh et Mamadou prennent le risque d’être rançonnés et emprisonnés.
« Tu faisais quoi à Diourbel ? Tu travaillais ?, je demande à Cheikh.
Oui, j’étais tailleur. Mais ça paye pas assez. En Italie, je vais mieux gagner ma vie.
Et là-bas, tu vas faire quoi ?
Je ne sais pas, n’importe quoi comme travail, je vais trouver. À la maison, à Diourbel, il n’y a plus que ma mère et moi. Toutes mes sœurs sont mariées. C’est à moi d’aider ma mère maintenant. »
Pour rejoindre les côtes siciliennes, Cheikh a déboursé 550 000 francs CFA (environ 850 euros), économisés sur son salaire et complétés par son père.