Agadez, envoyée spéciale
C’est un classeur d’écolier, avec l’ancien footballeur français Youri Djorkaeff en couverture. À l’intérieur, une douzaine de feuilles A4 ont été glissées dans des pochettes plastique. Sur chacune d’entre elles, six visages de jeunes hommes, parfois floues à force d’avoir été scannées, agrandies, imprimées. À côté, une indication de la route prise depuis Gandiole ou Thiaroye, deux petits villages de pêcheurs au Sénégal. « Départ en Espagne via la Mauritanie », « Départ en Espagne via le Maroc »… Tous ont disparu en chemin. Les messages ressemblent à des bouteilles jetées dans le désert : nous sommes à Agadez, au Niger, à plus de 3 000 km de la côte atlantique, que ces jeunes hommes ont peut-être longée pour se rendre jusqu’à Gibraltar ou rejoindre Ceuta et Melilla, enclaves espagnoles au Maroc. Ont-ils péri en Méditerranée, comme PM390047, le propriétaire du téléphone portable jaune qui attend à la morgue de Milan ? Leurs familles, sans nouvelles depuis des années, ont mis les photos à la disposition du CICR (Comité international de la Croix-Rouge) en 2014, pour qu’elles soient montrées aux étrangers de passage à Agadez, lieu de transit de centaines de milliers de personnes en partance vers l’Europe (lire l’épisode 6, « Au Niger, la frontière invisible de l’Europe »).
À cette époque, l’organisation a commencé à recevoir de plus en plus de demandes de recherche pour des personnes disparues sur la route. Le classeur était un projet-pilote.