Ils sont une quinzaine à s’affairer autour de la grande pirogue peinte en jaune et vert, posée sur des rondins de bois sur le sable fin de la plage de Yarakh, dans un village de la banlieue de Dakar, au Sénégal. Ils ne sont pas de trop pour sortir l’embarcation de vingt mètres de l’eau. Elle avance sur le sable par petites secousses d’un mètre, au rythme des phrases scandées par les hommes, pour se donner du courage. Debout sur la plage, Tidiane Ndiaye me montre l’embarcation du doigt. « C’est dans une pirogue comme celle-là que je suis parti vers les Canaries. On était 77 personnes à bord, on avait tendu une bâche sur une partie de la pirogue pour se protéger du soleil et des vagues. Le voyage a duré sept jours. J’avais tellement peur. » C’était en juin 2006, neuf ans avant que PM390047 embarque à son tour en direction de l’Italie, de l’autre côté de l’Afrique, sur les côtes libyennes, dans le petit chalutier bleu à peine plus long que la pirogue tirée sur la plage par les pêcheurs de Yarakh (lire l’épisode 1, « PM390047, un mort en Méditerranée »). Déjà, certains disparaissaient sur la route.
Quelques jours après le naufrage du 18 avril 2015 où PM390047 a perdu la vie, la presse sénégalaise et malienne a affirmé que 200 ressortissants de chaque pays – ou 300 en tout, selon les sources – auraient péri en mer. Les chiffres ont ensuite été démentis par les autorités sénégalaises qui ont ouvert une cellule de crise pour les familles. Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a reçu plus de 70 dossiers de familles sénégalaises concernées par le naufrage.
J’écoute Tidiane et je regarde cet océan que j’ai côtoyé toute mon enfance, ici sur les plages sénégalaises. J’ai appris à rêver d’un ailleurs en regardant les pirogues des pêcheurs se lancer vers le large, les yeux rivés sur l’horizon où le ciel et l’eau se touchent. Le sable brûlant se glisse entre mes orteils, je reconnais cette sensation, elle m’est aussi familière qu’elle l’est pour les enfants qui s’approchent de moi, l’air malicieux, jouant à qui osera en premier adresser la parole à l’étrangère que je suis devenue.
Au Sénégal, on émigre depuis des décennies. Les premiers départs se sont faits vers les autres pays d’Afrique occidentale, puis vers l’Europe au fur et à mesure que l’industrie automobile française est venue, dans les année 1960, recruter une main-d’œuvre bon marché. Officiellement, pour la France, l’immigration s’est arrêtée en 1974 – pas pour le Sénégal.