Il n’y a que vingt kilomètres qui séparent le village de Kothiary de la ville de Tambacounda, dans le sud-est du Sénégal, mais les crevasses qui parsèment la chaussée obligent les automobilistes à la plus grande prudence. Les camions citernes qui roulent en direction du Mali se rabattent sur le bas-côté en latérite et envoient des nuages de poussière rouge dans les yeux. La nationale 1, refaite sur les 460 kilomètres qui séparent Dakar de Tambacounda, manque cruellement d’entretien une fois passée la capitale régionale. Comme si, à partir de là, les moyens avaient subitement manqué, laissant l’impression d’une région abandonnée.
À Kothiary, Abdoulaye Kanté, le maire, nous attend. Il a préparé une liste de six noms : ce sont les familles de son village touchées par des disparitions en Méditerranée. Dans la liste, il y a la famille de l’imam du village et une belle-sœur du maire. « Pour cette famille-ci, dit-il en pointant le sixième nom de la liste, c’est plus délicat. Ils n’ont pas vraiment accepté la disparition de leur enfant. C’est peut-être mieux de ne pas aller leur poser de questions, ce serait très difficile pour eux. »
Compter les morts. Je repense aux pompiers siciliens chargés de sortir les corps de la cale du chalutier qui m’ont fait comprendre ce que cela signifiait (lire l’épisode 1, « PM390047, un mort en Méditerranée »). Je vais passer les prochains jours à compter les morts à mon tour. À Kothiary, je compterai jusqu’à trois. Trois familles, trois naufrages, dont celui du 18 avril 2015, celui où PM390047 a péri, avec 800 autres personnes que transportait le chalutier bleu. « Mon agent vous accompagnera. Il connaît les familles », indique le maire. Issaga Cissé a une petite vingtaine d’années, il porte sa tenue d’agent de sécurité de proximité. Il connaît chacun des disparus. À Kothiary, avec ses quelque 3 000 habitants, tout le monde se connaît. Et tout le monde connaissait Abou, né en 1983 et disparu en novembre 2016.
Abou, c’était son petit nom. Son vrai nom, celui qui est écrit sur ses papiers, c’est Abdoul Diaw. Il est né en 1983, il avait 32 ans quand il est parti, le 8 août 2016, plus d’un an après le naufrage où PM390047 et des hommes du village ont péri.