Dans ses mains, un petit sachet plastique de pharmacie. À l’intérieur, Kécouta Cissokho tient ce qui reste de son fils, Mahamadou : sa carte d’électeur, son certificat de travail. Mahamadou est parti sans rien prendre avec lui, un jeudi matin, le 15 janvier 2015. « C’était quelqu’un de très dégourdi, dit son père. Il nous aidait beaucoup. » Sur le certificat de travail est écrit : « Apprenti courageux, poli, travailleur de plus. » Mahamadou Cissokho était mécanicien, un métier qu’il avait appris à Tambacounda, dans le sud-est du Sénégal, pendant dix ans. Il était ensuite revenu s’installer à Kothiary, un village particulièrement touché par les disparitions en Méditerranée (lire l’épisode 15, « Abou, le deuil impossible »), et y avait ouvert un garage. « Il avait un bon métier, il gagnait bien sa vie. Il avait de la chance. » Né le 12 mai 1978, Mahamadou aurait eu 40 ans cette année.
« J’ai toujours cru dans les études, dans le fait d’avoir un métier, explique Kécouta. Je n’étais pas d’accord avec les projets de départ de Mahamadou, je ne l’ai jamais été. Quand il est mort, j’ai prié pour lui, mais je n’étais toujours pas d’accord avec sa décision.
Oui, mais comment tu veux vivre ici ?, lui lance son fils cadet, Lansana, le petit frère de Mahamadou. Quand ton enfant est malade, tu n’as même pas de quoi lui acheter des médicaments ! Tu es là, tu le vois malade, et tu ne peux rien faire. »
Assis côte à côte sur la banquette installée sous l’auvent, au milieu de la cour de la concession familiale, père et fils s’affrontent du regard. Derrière eux, des enfants jouent, deux jeunes femmes finalisent une figure tracée au henné sur les pieds de l’une d’elles, des traits fins et délicats qui forment des arabesques ocres sur la peau. Un petit garçon enroule ses bras autour des épaules de Lansana, se glisse sur ses genoux. C’est le plus jeune fils de Mahamadou. Quand son père est parti, Moussa n’avait pas un an – il était encore allaité, précise son oncle.