Je devais écrire un tout dernier épisode à cette série, la terminer sur l’histoire d’Ousman Gaye, 19 ans, croisé fin janvier à Agadez, au nord du Niger, et retrouvé en mai à Bijilo, petite station balnéaire de Gambie. Ousman est rentré chez lui après trois ans sur la route, deux tentatives de traversée de la Méditerranée avortées, et deux séjours de cinq puis deux mois dans une prison libyenne. Il n’en est sorti que grâce à un passeur, puis des amis qui ont payé les rançons demandées.
Ce lundi matin de mai, Ousman nous attendait à notre descente du taxi devant la station essence de Bijilo. J’ai reconnu son visage fin et ses dreadlocks attachées en queue de cheval. Il avait un grand sourire, et nous aussi. On était contents de se revoir. Il nous a amenés chez lui et nous a offert un Coca, puis il a appelé son oncle pour le prévenir de notre arrivée.
Mais quand, ces derniers jours, il a fallu écrire cet épisode final, au lieu de rédiger le retour d’Ousman, je me suis retrouvée à éplucher des brèves pour compter les disparus de trois naufrages survenus le premier week-end de juillet. L’Europe était soudain en train de s’emballer autour d’une nouvelle « crise des migrants », affolée suite à l’annonce de la fermeture des ports italiens aux bateaux des ONG. Le 11 juin 2018, l’Aquarius, le bateau de sauvetage affrété par SOS Méditerranée et Médecins sans frontières, a été arrêté en mer, entre Malte et l’Italie, avec 629 personnes à bord, obligé de faire des ronds dans l’eau pendant une semaine avant d’être dirigé vers Valence, en Espagne. Les arrivées vers l’Italie ont certes chuté de 75 % à l’été 2017, mais pour le nouveau gouvernement italien – une coalition entre le Mouvement 5 étoiles et la Ligue –, c’est toujours trop, a annoncé le ministre de l’Intérieur Matteo Salvini, semant la panique parmi les dirigeants européens. La « crise » est surtout celle-là : si l’Italie n’accepte plus les bateaux, quel État va devoir les accueillir ?

Le 22 juin, l’Italie a confié le commandement des opérations de sauvetage aux gardes-côtes libyens, dès lors que les appels de détresse étaient reçus à proximité des eaux territoriales libyennes – exactement dans la zone dans laquelle patrouillent les bateaux des ONG, devenus la bête noire de Salvini. Début juillet, l’Italie a annoncé faire cadeau de douze vedettes à ces mêmes gardes-côtes libyens, pourtant impliqués dans plusieurs incidents violents avec des bateaux d’ONG.
Le message de l’Italie a le mérite d’être limpide : désormais, c’est la Libye qui se chargera de contenir tous les départs vers l’Europe.