Lesbos, envoyée spéciale
Le vaisseau militaire Merikarhu croise feux éteints entre l’île de Chios et la côte turque, longeant la frontière invisible tracée dans la mer : une ligne bleue sur l’écran radar. La masse d’eau noire fait tanguer le bateau de l’armée finlandaise, conçu pour résister à des vagues de plusieurs mètres. Nous sommes fin décembre 2017, deux ans et demi après le naufrage où PM390047 a péri en avril 2015 (lire l’épisode 1, « PM390047, un mort en Méditerranée »).
Cet été 2015, les arrivées par la Méditerranée ont explosé. Pendant le seul mois d’octobre, elles ont atteint un pic de 220 579 personnes (selon les chiffres de l’OIM, l’Office international des migrations). La plupart d’entre elles – surtout des Syriens, des Irakiens et des Afghans – tentaient la traversée ici, par la mer Égée, depuis les côtes turques qu’on aperçoit à bâbord du Merikarhu, jusqu’aux îles grecques situées à quelques dizaines de kilomètres. Les arrivants continuaient ensuite leur route à travers les Balkans, vers l’Allemagne et le nord de l’Europe. Les scènes d’exode étaient sans précédent, des centaines de milliers de personnes traversant les frontières, souvent à pied. Les dirigeants européens ne pouvaient plus faire comme si tout cela ne concernait que la Grèce ou l’Italie. Il fallait tarir les arrivées.
L’Europe a répondu en renforçant les contrôles aux frontières. Dans la cabine de pilotage du Merikarhu, les deux officiers de garde ont les yeux rivés sur des écrans, l’un sur celui de la caméra thermique placée sur le toit de la cabine, l’autre sur le radar affichant les embarcations tout autour, petits points rouges qui évoluent sur le fond bleu marine.