Agadez, envoyée spéciale
La bouteille d’eau est vide, abandonnée au vent qui la ballotte d’un bord à l’autre de la benne du pick-up. Les bourrasques chargées de poussière se sont engouffrées par la vitre cassée de la cabine, enveloppant le tableau de bord d’un voile gris-rose. Sur le siège avant, un pull roulé en boule, laissé là par son propriétaire, a pris la couleur terne de l’harmattan qui souffle sur Agadez. A-t-il repris la route, comme PM390047, victime d’un naufrage en Méditerranée le 18 avril 2015 et dont je tente de retrouver la trace (lire l’épisode 1, « PM390047, un mort en Méditerranée »), ou s’est-il arrêté ici ? Le véhicule est garé au milieu d’autres pick-up aux plaques d’immatriculation libyennes, une armée de Toyota Hilux blanches aux pneus crevés, sagement alignés en cinq rangées au fond du camp militaire de cette ville au milieu du désert du Niger, ce point névralgique des routes migratoires (lire l’épisode 6, « Au Niger, frontière invisble de l’Europe »). Il y a 107 Toyota, toutes confisquées aux passeurs depuis l’application de la loi nigérienne 2015-36 qui criminalise le trafic illicite de migrants.
Des reliques de voyages interrompus s’entassent dans les bennes. Des sandales rose fuchsia. Un fatras d’habits – jeans, T-shirt blanc, blouson noir, chemise aux motifs décolorés, étoffes en wax – et, au milieu, une Bible. Des tablettes de paracétamol, des bidons d’eau enveloppés dans une toile de jute, une paire de lunettes, une brosse à dents.