C’est une boucle de 878 kilomètres que vont parcourir Les Jours à partir de ce mardi et jusqu’aux élections municipales des 15 et 22 mars prochains : Courson-Hayange-Paris. Trois mondes, en fait. Courson-les-Carrières, dans l’Yonne, à 191 kilomètres au sud de Paris et 367 à l’ouest d’Hayange, compte moins d’un millier d’habitants et un maire, Jean-Claude Denos. Hayange, en Moselle, à 340 kilomètres à l’est de Paris, c’est une histoire industrielle dévastée, 16 000 habitants et un maire particulier, Fabien Engelmann, passé comme qui rigole de l’extrême gauche au Rassemblement national
Le maire est réputé être l’élu préféré des Français, mais quel maire ? Quoi de commun entre le sans-étiquette Jean-Claude Denos, le RN Fabien Engelmann et la socialiste Anne Hidalgo ? Entre un territoire rural où la limitation de vitesse à 80 km/h a été, comme tant d’autres dans le pays, le terreau du mouvement des gilets jaunes ? Une ville déclassée de l’est qui s’est donnée à l’extrême droite comme un laboratoire dont, six ans après, rien ne sort ? Et une capitale de 2,1 millions d’habitants devenue cité interdite à qui n’affiche pas un compte en banque à quadruple zéros, et où les municipales sont une loupe de la France, avec un parti majoritaire, celui d’Emmanuel Macron, en proie à l’amateurisme et l’arrogance qui semblent les marqueurs politiques du président de la République ? Rien de commun entre ces trois villes sinon qu’elles reflètent les oscillations du pays et la diversité de l’enjeu des municipales et c’est pour cela qu’aux Jours, nous les avons choisies. En avant pour la fanfare municipale.
Par Alexander Abdelilah, Guillaume Krempp et Robert Schmidt
À première vue, l’ancienne cité ouvrière et commerçante semble calme, presque endormie. L’époque où Hayange était connue dans la région lorraine pour ses rues animées et le château de la dynastie Wendel semble lointaine. Aujourd’hui, dans les quartiers excentrés, les quelques chats errants sont les seuls compagnons des rares promeneurs. Pourtant, derrière les façades pour certaines encore noircies par les fumées du passé sidérurgique, l’envie de parler monte depuis l’élection de Fabien Engelmann au poste de maire, en 2014. Alors que les coups d’éclat des premières heures avaient laissé les opposants sidérés et les partisans étourdis, les langues se délient, y compris chez les proches du maire sortant.
Le coup d’envoi vient de la taulière du Rassemblement national (RN) en personne. Marine Le Pen vient de lancer sa campagne présidentielle, les yeux rivés sur 2022. Dans ce contexte, la séquence politique des municipales se doit d’être le premier jalon. Celui de sa remontada dans les études d’opinion. Pour ce faire, le parti déjà bien implanté dans les villes du nord et du sud-est entend élargir sa base à l’est. Si conserver la ville d’Hayange reste une « priorité » pour Kevin Pfeiffer, le patron du RN en Moselle, ce dernier ne cache pas sa gourmandise. Amnéville, Stiring-Wendel, Creutzwald, Boulay, Faulquemont… et pourquoi pas Metz. Le parti de Le Pen, déjà aux commandes de quatorze communes, affiche des objectifs ambitieux.
Dans la région, Fabien Engelmann hérite donc logiquement du rôle de pionnier, de celui qui doit ouvrir la voie du parti aux plus de 700 communes de Moselle. Bien qu’il ne doive son élection en 2014 qu’à 2 290 électeurs au second tour, soit 19 % des inscrits, le maire sortant part sur de bonnes bases, à en croire le score stratosphérique obtenu aux dernières européennes en Moselle. Le RN y a raflé près de 30 % des suffrages et a occupé la première marche du podium, loin devant La République en marche. Pourtant, le jeune espoir de la formation pourrait aussi devenir son pire ennemi.
Présenté en 2014 comme la caution ouvrière d’un parti qui essaie de se défaire de l’étiquette d’extrême droite, l’ancien candidat de Lutte ouvrière et militant de la CGT enchaîne les sorties de route. Quelques mois après son entrée en fonction, Fabien Engelmann a fait repeindre en bleu une fontaine d’Hayange, sans en avertir l’artiste, pour « égayer un peu le centre-ville ». Propriété intellectuelle ? Connaît pas. Devant la polémique, l’œuvre a été décapée puis déplacée, comme pour effacer le geste d’humeur. Même sort pour des wagons de l’ancienne mine, exposés en centre-ville et repeints aux couleurs du drapeau français. Moins colorée mais tout aussi polémique, la Fête du cochon a aussi vu le jour pendant les premiers mois turbulents du mandat Engelmann. Ce rassemblement, qui célèbre « nos traditions d’abord » et au cours duquel des plats à base de porc sont servis aux visiteurs, est devenu depuis un rendez-vous prisé des identitaires de la région.
Mais « le Fabien », comme l’appellent ses partisans, sait aussi cajoler son auditoire. En proclamant sa passion pour les bêtes, notamment. Alors que le Parti animaliste a créé la surprise aux dernières européennes en raflant 3 % des suffrages en Moselle et quelque 500 000 voix au niveau national, Fabien Engelmann multiplie les preuves d’amour. En encourageant par exemple les agents municipaux propriétaires d’animaux domestiques à les amener sur leur lieu de travail. Le but ? Que chaque service dispose de sa « mascotte », comme nous le raconte une agente, séduite par la mesure. En bon communicant, Fabien Engelmann n’hésite pas à dégainer des mesures symboliques, comme un arrêté interdisant l’installation de cirques travaillant avec des animaux sauvages, sans base légale. Ou bien encore la fameuse « boucle Brigitte Bardot » : fan de la première heure de la défenseuse des animaux, le maire a attribué son nom à une rue coincée entre une départementale et un champ. Particularité : la rue tourne en rond.
Après six ans de mandat, le mélange d’autoritarisme et de séduction ne passe plus. Chez ses opposants, d’abord, qui dénoncent les « pressions » qui s’exercent sur quiconque se dresse sur la route d’un deuxième mandat RN. Au point d’avoir parfois du mal à faire campagne. « Quand nous tractons chez des commerçants, certains nous demandent avec inquiétude si quelqu’un nous a vu entrer », regrette Rebecca Adam, patronne de la liste Changer d’ère. Après avoir un temps envisagé de s’unir à la liste d’opposition Hayange en Harmonie, qui rassemble de l’extrême gauche au centre droit, l’ancienne membre du Parti socialiste et assistante parlementaire d’un député LREM a décidé de traverser les turbulences électorales en solo. La pression ambiante n’épargne pas non plus Gilles Wobedo, membre de La France insoumise et inscrit sur la liste d’opposition concurrente Hayange en harmonie. En 2017, Fabien Engelmann le poursuit pour diffamation en raison d’un post Facebook dans lequel le militant de La France insoumise le qualifiait « d’apprenti dictateur ». Gilles Wobedo affirme avoir dépensé quelque « 7 000 euros » de frais de justice jusqu’à sa victoire finale devant la Cour de cassation, début 2019. D’autres militants, plus discrets, disent également craindre un « retour de manivelle » professionnel en cas de victoire du RN.
Plus surprenant, ce besoin de lever la loi du silence semble avoir atteint le centre de commandement de Fabien Engelmann : sa mairie. Sous couvert d’anonymat, de nombreux témoignages de salariés actuels ou anciens nous sont parvenus. Par touches, le tableau qu’ils dépeignent est sombre : mesures de rétorsion à l’encontre du personnel jugé trop proche de la CGT, harcèlement moral envers les agents tombés en disgrâce, amateurisme de l’équipe dirigeante, décisions arbitraires en tous genres. Des témoignages d’autant plus risqués que Fabien Engelmann a la gâchette judiciaire facile avec ses détracteurs. Sous son mandat, les frais de justice de la commune ont explosé, bondissant de 500 % entre 2014 et 2016, comme le constate la Cour des comptes dans un rapport confidentiel que Les Jours se sont procuré. Des dizaines de milliers d’euros claqués dans les prétoires dans un contexte de « prévision budgétaire peu fiable », toujours selon la Cour des comptes, et de « lacunes dans le suivi et la tenue des états financiers ». La raison de ces dépenses incontrôlées serait en réalité « l’hystérie d’opposants foncièrement intolérants », selon le maire. Pour les personnes touchées par l’ire de l’édile, cette stratégie offensive laisse des traces, coûtant à certains l’emploi, à d’autres la santé ou encore la vie familiale. Une employée de la mairie résume l’ambiance : « Avec lui, c’est le silence ou le procès. »
Par Sophian Fanen
À Courson-les-Carrières, il y a un médecin généraliste, un dentiste, un kiné, une sage-femme… et un garage qui fait station-service à la sortie sud. Il a été créé par le maire de la ville, Jean-Claude Denos, avant qu’il ne le revende pour prendre sa retraite. J’avais rencontré ce monsieur paisible et décidé aux yeux très bleus en 2018, lorsque je suis venu une première fois dans cette petite ville de l’Yonne
« Après cinq mandats, il faut bien passer la main », dit-il aujourd’hui. Sauf qu’il n’a trouvé personne pour prendre sa suite et que personne ne semble décidé à se présenter contre lui. Alors il s’est résigné à rempiler une sixième fois et travaille en ce moment à rassembler une liste qui formera le conseil municipal. D’élection en élection, c’est devenu de plus en plus difficile. Courson a changé alors que ses habitants se sont retrouvés à travailler toujours plus loin dans des usines ou dans les services à Auxerre, à Sens voire à Paris. Aujourd’hui, Courson se vide le matin et se remplit le soir comme une ville dortoir de grande banlieue. « Les gens travaillent sur Auxerre et reviennent ici pour dormir, dit le maire. Alors ils sont moins concernés par leur ville. Chacun s’occupe de soi. » Mais il faut bien que quelqu’un s’occupe d’eux.
Jean-Claude Denos est donc un maire rural depuis trente ans et il a tout vécu. La fin de l’emploi agricole dans des exploitations toujours plus mécanisées, Courson qui perd des habitants puis trouve une nouvelle jeunesse en construisant des lotissements, en faisant venir une petite usine spécialisée dans le verre trempé… Il a aussi été l’acteur de la naissance d’une communauté de communes, puis de son absorption il y a quelques années dans une mégastructure qui rassemble désormais 58 villes et villages, s’étend sur une centaine de kilomètres de diamètres à cheval sur deux départements. Être maire rural, c’est aimer conduire.
En 2020, Courson se porte plutôt bien. À côté de la mairie, on trouve une école maternelle et une primaire. En montant par l’arrière, par-delà le vieux lavoir rénové il y a peu, il y a une grande maison de retraite qui vient d’ouvrir une nouvelle aile dédiée aux malades d’alzheimer. En continuant la rue, on tombe sur le collège Jean-Roch-Coignet, du nom d’un militaire et chroniqueur des guerres de Napoléon, né non loin de là, à Druyes-les-Belles-Fontaines. Courson a un truc avec les empereurs français : son cimetière est dominé par un monument funéraire totalement surdimensionné au milieu des petits tombes, qui abrite la sépulture d’Auguste François Dussautoy, le grand homme de Courson, qui fut le tailleur de Napoléon III et des cours royales européennes qui pesaient dans le game du milieu du XIXe siècle.
C’était la belle époque de Courson, qui profitait à plein du dynamisme des carrières de pierre des alentours. La ville, comme beaucoup de communes du coin, en conserve de beaux bâtiments bourgeois un peu partout. Il reste aussi des traces plus discrètes mais aussi plus éternelles de cette grandeur industrielle : les quatre piliers qui supportent les pieds de la tour Eiffel sont en pierre de Forterre, qui avait comme qualité sa solidité et sa situation proche de Paris. Le Louvre, l’opéra de Paris, l’hôtel de ville ou le Muséum d’histoire naturelle ont aussi utilisé cette pierre calcaire blanche née quand la Forterre était un fond marin sédimenteux qui terminait à pic sur ce qui forme aujourd’hui les falaises de Mailly-le-Château, un peu plus au sud-est en direction du massif ombrageux du Morvan.
Ces grandes années du XIXe sont loin, les carrières ont fermé quand le béton s’est avéré plus efficace après la Première Guerre mondiale. Mais Courson a gardé un dynamisme hérité de son emplacement central, à mi-chemin d’Auxerre et de Clamecy et à la jonction de toute la vie du coin. La commune semble d’ailleurs avoir tout gardé pour elle-même, jouer aujourd’hui les métropoles miniatures et faire mentir les articles sur la désertification des petites villes rurales. Autour de la place du Château, du nom du bâtiment qui fut un haut-lieu du pouvoir des comtes de Nevers et d’Auxerre au Moyen-Âge avant de devenir la mairie, il y a tout ce qu’il faut. Une pharmacie, une banque, une boulangerie, deux restaurants et trois bars
Par Raphaël Garrigos et Isabelle Roberts
Comme un symbole d’un Paris devenu moins flamboyant, Michou est mort à la veille des municipales. Comme un symbole d’un Paris qui n’est plus le lieu de bastons électorales épiques, Anne Hidalgo n’a comme adversaires qu’un second couteau de la Macronie, infoutue de n’avoir qu’un seul candidat, Cédric Villani continuant de menacer Benjamin Griveaux, et qu’une zombie de la droite tout aussi zombie, Rachida Dati. Vous le savez, aux Jours, on est anti-sondage, mais c’est bel et bien un sondage qui a mis le zbeul. Celui qui, fin janvier, a classé Rachida Dati en deuxième position des intentions de vote derrière Anne Hidalgo, reléguant Benjamin Griveaux en troisième position, devant l’écologiste David Belliard et le Spiderman macroniste Cédric Villani. Convoqué par Emmanuel Macron pour se faire remonter la lavallière et prié de se rallier fissa à Griveaux, Villani a fait une conférence de presse au sortir de l’Élysée pour dire que pas question. Zou, exclu de LREM.
Peu importe les pincettes à prendre avec ces sondages où la marge d’erreur suffit à inverser l’ordre d’arrivée, il a marqué le début de la campagne parisienne. C’est parti. La preuve : le camion de Marcel Campion, candidat forain à la roue aussi grande que la bouche, arpente désormais la ville, floqué de ghostbusters énigmatiques et surmonté d’un dinosaure tout aussi what the fuck, comme l’est son slogan « Libérons Paris ». Et c’est parti aussi pour le grand n’imp des promesses électorales où figurent en bonne place le « Central Park » que Benjamin Griveaux veut créer en déménageant la gare de l’Est porte de la Villette et les postes de « managers de rue » dont le même Griveaux a eu l’idée pour surveiller trous dans la chaussée et trottinettes mal garées. Même Campion, qui veut rendre les voies sur berge aux voitures (en attendant d’autoriser de nouveau la cigarette au restaurant ?), est battu.
Mais, dans une capitale où la maire Anne Hidalgo a, paradoxalement, quasiment moins de pouvoir que Jean-Claude Denos à Courson, que peuvent proposer les candidats ? La mairie de Paris est corsetée par la région, fliquée par la préfecture, tenue par l’État. Anne Hidalgo ne peut, par exemple, pas bannir Airbnb qui fait de Paris une succursale d’agence immobilière à vocation touristique. Ce qui est sûr, c’est que l’enjeu écologique sera crucial, où chacun rivalise de promesses. C’est bien simple, tous les candidats sont écolos (à part Marcel Campion, mais bon), il n’y a qu’à voir les tracts tout verts d’Anne Hidalgo. Ça veut végétaliser, piétonniser, verdir de toutes parts et, bien sûr, véloiser tant et plus. Pour ne pas se faire couper le vert sous le pied, l’écolo David Belliard propose une « coalition climat » qui rassemblerait de « Cédric Villani à Danielle Simonnet » (de La France insoumise), incluant Isabelle Saporta qui, pressentie pour rejoindre les Verts, a finalement lâché l’ancien dircom présidentiel Gaspard Gantzer pour l’homme araignée félon de la Macronie. Mais pour l’heure, seul Villani a l’air d’accord. Il va y avoir des trahisons, il va y avoir des défections, il va y avoir des ralliements de dernière minute : une belle pièce de boulevard parisien s’annonce.