Ravie de te retrouver, Jouriste. Si le précédent article dédié au « verrou de Bercy » (lire l’épisode 20, « Le verrou de Bercy fait grincer le Parquet national financier ») ne t’a pas tué·e, il t’a rendu·e plus fort·e. Passons donc au niveau 2 : Super Verrou contre les Justiciers de l’argent sale. Pour mémoire, le monopole qu’exerce le ministre du Budget sur les décisions de poursuites judiciaires en matière de fraude fiscale limite l’autonomie des magistrats. Cette semaine, à l’Assemblée nationale, la mission d’information présidée par Éric Diard (député LR des Bouches-du-Rhône) a continué ses auditions : quatre magistrats et le président de la commission des infractions fiscales (CIF), l’autorité obligatoirement consultée par le ministère du Budget avant tout dépôt de plainte. Soit le verrou fait homme. En regardant les vidéos sur le site de l’Assemblée, on s’est surpris à ronchonner contre les députés absents, piaffer devant une question mal posée, rouler des yeux face à une réponse évasive. Bref, à se prendre grave au jeu. Bizarre, oui, mais c’est ainsi.
Mardi matin, trois présidents de tribunaux de grande instance – Jean-Michel Hayat (Paris), Isabelle Gorce (Marseille) et Olivier Joulin (Rennes) – sont invités à donner leur avis sur le verrou de Bercy lors d’une table ronde. Tous tirent dans le même sens : il faut supprimer ce dispositif « complètement anachronique » pour Jean-Michel Hayat, preuve d’un « déficit de cohérence » selon Isabelle Gorce et rebaptisé « bouchon de Bercy » par Olivier Joulin. Aux yeux de ce dernier, le passage obligé par la commission des infractions fiscales « ne fait qu’une chose, c’est retarder » les poursuites pénales. Il se trouve qu’Olivier Joulin connaît le sujet, du fait de sa situation un peu particulière. Faute d’effectifs suffisants à la juridiction interrégionale spécialisée (Jirs) de Rennes, le magistrat y exerce lui-même les fonctions de juge d’instruction, en plus d’être président du tribunal. Son cabinet compte « quelques dossiers de fraude fiscale », tous ouverts en contournant le verrou de Bercy, c’est-à-dire en qualifiant les faits de « blanchiment » ou « d’escroquerie en bande organisée ». Pour examiner le volet de pure « fraude fiscale », il faut une plainte du ministère, « au prix d’une attente qui ralentit l’instruction ». Ces mois perdus entraînent, à terme, « une sanction souvent très allégée », regrette Olivier Joulin. Avec le temps va, tout s’en va.
Les conclusions des trois magistrats rejoignent largement celles de la cheffe du Parquet national financier Éliane Houlette, la semaine passée.